PIERRE PORTE, PASSIONNÉMENT ÉCLECTIQUE par Laurent GHARIBIAN.

Compositeur, arrangeur, pianiste, Pierre Porte est né en 1944. Autant dire qu’il est l’un des derniers grands chefs d’orchestre de music-hall dans la lignée des Ray Ventura, Jacques Hélian, Franck Pourcel, Michel Legrand, Caravelli ou Paul Mauriat, lui-même rencontre marquante pour ce musicien.

Pour ses 50 ans de carrière, paraît chez Marianne Mélodie « Grand Orchestre », un coffret 3 CD conçu par Pierre Porte et Matthieu Moulin. Accompagné d’un livret bien documenté, de belle qualité rédactionnelle, voici un florilège de compositions originales (idyllique « Ibiza »), d’arrangements et d’orchestrations sur des standards couvrant plusieurs décennies et souvent plusieurs continents. Mais pourtant restés longtemps introuvables en CD.

De nombreuses sources sonores proviennent du prestigieux label japonais Victor Entertainment : au pays du Soleil levant, Pierre Porte fut acclamé comme une star dès 1981 : ses propres mélodies y sont célèbres. Bien plus qu’en France.

Plusieurs des producteurs nippons se sont ainsi succédé à Paris pour l’enregistrement de 10 albums dont la plupart furent réalisés au mythique studio Davout, aujourd’hui disparu.

Outre « Paris danse », extrait de la B.O. de la célébrissime Revue du Moulin Rouge « Féerie », le CD 2 comprend pour moitié plusieurs compositions dans lesquelles le synthé se mêle, sans hiatus aucun, au monde symphonique.

En seconde partie, comme au music-hall, les thèmes de chansons empruntées au répertoire d’Edith Piaf. Soit 11 titres emblématiques, tous finement restitués, parmi lesquels « Hymne à l’amour », « La vie en rose », « L’accordéoniste » ou « Les amants d’un jour ».

Comme partout sur ces trois galettes, le piano virtuose et les différents orchestres se marient idéalement dans l’inventivité et la délicatesse avec l’accordéon. Sur les plages 12,15,16,18, 19 (et non pas – semble-t-il – sur la 22, comme indiqué), la sensuelle complicité de Marcel Azzola peut ainsi se comparer à une discrète voix humaine.

En plus d’une version de « La Foule », proprement étourdissante, on remarquera sur « Les trois cloches » – lyrique, presque hollywoodien – l’intervention magistrale de chœurs : réédition idéale pour cette Année Edith Piaf. On célèbrera, en octobre, la disparition de la chanteuse légendaire, survenue voici déjà soixante ans.

Dans cette compilation d’envergure apparaît de Pierre Porte son regard pertinent. Approche hédoniste, construction en clair-obscur : la diversité étincelante dans l’agencement des titres constitue, en soi, une véritable œuvre d’art.

Cet artiste possède, il est vrai, une culture multiforme. Pour le classique, signalons simplement « le » Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris ; les cours de perfectionnement auprès de Maurice Duruflé ou les conseils que lui prodigua un grand beethovenien : Pierre Barbizet.

Ella Fitzgerald a salué le travail de Pierre Porte, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Nice pour un concert triomphal donné lors de l’ultime tournée européenne de jazz symphonique que la vocaliste a entreprise en 1978 avec le fameux Trio Flanagan.

A la télévision, plus de cent émissions pour Maritie et Gilbert Carpentier : il compose pour des ballets classiques ou modernes, adapte de vieux succès, écrit sur mesure arrangements et orchestrations pour des duos inédits entre chanteurs et comédiens…

Il travaille pour Johnny Hallyday, Régine, Marie Laforêt, Dalida, Marcel Amont, Sylvie Vartan, Gilbert Montagné, dirige l’orchestre pour une prestation de l’imprévisible Gainsbourg, effectue une tournée avec Thierry Le Luron.

Véritable passionné éclectique, Pierre Porte avait conçu en 1983 l’ album « L’univers symphonique de Francis Lemarque ». Une référence majeure. A rééditer d’urgence.

Sur le CD 3, Pierre Porte s’est notamment offert le luxe de proposer sa vision très personnelle de pages emblématiques. Leurs auteurs respectifs ? Rien moins que Wagner (allégé, cela n’est pas plus mal), Mozart (discrètement lyrique), Liszt (« Préludes » majestueusement revisités ), Beethoven (deux mouvements de sonates, merveilles d’expressivité) ou ce « Nocturne en Mi bémol majeur » de Chopin symphonisé avec style et faisant sonner le piano dans le respect et l’élégance. 

Une partie du CD 1 permet de (re)découvrir à la fois deux « Fantaisies » de Pierre Porte pour « Grand Quatuor à cordes » et l’indicatif de l’émission dominicale du soir qu’animait Jacques Martin : « Musique and Music », un thème où se côtoient Mozart, Schubert et Wagner.

Sur le même CD, deux compositions : les « Variations et Aria Op.4 », élégiaques à souhait comme ces resplendissantes « Variations Op 1 ».

Le « I love Paris » de Cole Porter – avec la musique additionnelle et le piano solo de Pierre Porte – devient pour 4’15 un mini-concerto entre classique et jazz : l’esprit même du music-hall !

Une curiosité que ce « Medley Bee Gees », suave réminiscence du mythique groupe pop. Enlevé, abouti.

Pour clore cette mosaïque, le thème au titre bilingue « Evoquations / Suite Symphonique » (Like A Symphony) pourrait évoquer, pour ainsi dire, l’univers d’un cinéma intemporel. Le musicien a aimé travailler pour le 7ème art : Christian-Jaque, Joseph Losey, Roger Vadim et Yves Boisset.

Un grand nombre de titres rassemblés dans ce Coffret d’Or rappellent immanquablement le monde du cinéma, quelles qu’en soient la texture, l’esthétique rythmique.

Retour au CD 3. Il s’ouvre sur quelques morceaux choisis ( périodes Préclassique ou Romantique citées plus haut) eux-mêmes suivis de compositions personnelles aux contours finement articulés. A noter les beaux « Passager » ou « Carnaval de Venise ». Et cet « Arlequin » : un charme plutôt seventies parmi d’autres tableautins façonnés en pastels aux rythmes notablement différenciés.

Une quasi-découverte : le violoncelle du méconnu Jean Reculard – unique élève de Pablo Casals – est à l’honneur dans « Sortilège ». Appellation qui, au pluriel, aurait bien pu donner un sous-titre à cet « o.s.t.i. » : objet sonore très identifiable. Sans e. Quoique…pour une musique aussi céleste…

Encore une fois, quelques grands succès internationaux revisités : mélodies signées Gilbert Bécaud (indétrônable « Et maintenant »), Joseph Kosma (des « Feuilles mortes »… à tomber !) Jacques Brel (un « Ne me quitte pas » sans le pathos d’origine) ou cet exceptionnel « A Paris » de Francis Lemarque. Artisan magnifique et simple avec lequel Pierre Porte nouera une réelle et durable amitié.

« Memory » (de la comédie musicale « Cats ») – constitue un autre moment de grâce : cordes soyeuses fondues au piano, dans un climat fait de nuances propices au rêve, parfois à la méditation : l’identité même du présent coffret.

Juste avant la note finale, très cabaret, que constitue « Féerie » – cosignée Charles Level / Pierre Porte – Georges Auric se voit honoré par ce « Moulin-Rouge » où quelques notes d’accordéon surgissent par instants, associées au clavier enchanteur parmi le tapis orchestral : maîtrise absolue. A l’instar du travail que renferme cette anthologie luxuriante où les différentes phalanges et le piano de Pierre Porte forment deux orchestres qui se répondent, se comprennent. En un mot, dialoguent. Dans une évidente harmonie de chaque instant.

De la « musique légère », aux deux sens du terme. Hors des modes. Dynamique, festive. Un cadeau à s’offrir. A offrir aussi. Bonheur intense garanti.

                                                     Laurent GHARIBIAN

Pierre PORTE Grand Orchestre 

LE COFFRET D’OR 3 CD paru chez Marianne Mélodie.

64 titres remasterisés. Réf. 1586.544

ET MAINTENANT (CD 3 plage 16)

.LES FEUILLES MORTES (CD 3 plage 17)

A PARIS (CD 3 plage 19)

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