Photo Fabienne Rappeneau
D’après FRANZ KAFKA
TRADUCTION ET ADAPTATION DE SYLVIE BLOTNIKAS
MISE EN SCÈNE ET AVEC SYLVIE BLOTNIKAS ET JULIEN ROCHEFORT
LUMIÈRES : LAURENT BÉAL
PRODUCTION : LA PETITE COMPAGNIE
CORÉALISATION : LUCERNAIRE
PARTENAIRE : ACTE 2
Se rendre chez Monsieur Kafka pour se distraire, quelle idée ! Il a une réputation des plus sinistres, franchement il y a mieux pour se changer les idées ! Et pourtant un curieux pressentiment, l’intuition qu’il était possible de se réjouir en côtoyant cet homme-là par l’intermédiaire de ses récits, m’a incitée à me rendre au spectacle conçu par Sylvie BLOTNIKAS et Julien ROCHEFORT.
Nous savons que Kafka fut un employé d’assurance pour gagner sa vie, il aurait d’ailleurs plutôt dit « pour gagner sa tombe » et il n’écrivait que la nuit ses chefs d’œuvre, le Procès et le Château etc. publiés après sa mort. Cependant de son vivant il a dispersé quelques récits ou nouvelles très savoureuses qui sont même venues aux oreilles de ses patrons.
Quelle était donc la nature de ses relations avec la direction de son entreprise ? Plutôt cordiales si nous nous en référons aux correspondances qu’il lui a adressées et que Sylvie Blotnikas a eu la bonne idée de nous dévoiler.
Ces lettres devraient figurer dans une anthologie destinée à tout employé qui se prend la tête pour demander une augmentation de salaire, une promotion ou un congé.
Certes la secrétaire qui communique les précieuses lettres au Directeur est assez conventionnelle. Mais le respect des conventions n’est-il point la marque de fabrique des entreprises. Il faut jouer le jeu c’est comme ça, c’est un rôle que celui de secrétaire et c’en est un autre que celui d’être Directeur. N’importe comment cela vous permet de répondre à la sempiternelle question « Que faites-vous dans la vie ? ».
Kafka passait pour un employé modèle, extrêmement sérieux, le jour. Mais la nuit, il s’évadait et les nouvelles récoltées par Sylvie Blotnikas sont le fruit de ses fructueuses évasions, de ses rocambolesques virées nocturnes. Kafka c’est un cambrioleur de la réalité, l’artiste invisible qui se faufile aux yeux de tous, pour aller dénicher ce qui se cache sous la table, ce qui tremble derrière un tableau que l’on finit par ne plus voir tellement il fait partie des meubles. Elle a quelque chose de figé la réalité à cause de nos habitudes, à cause par exemple de cette routine qui cloue au sol un employé de bureau.
Kafka ne va pas refaire le monde, il va le démonter en visiteur nocturne pour décocher ce qui grince sous la poussière, ce qui peut reprendre de l’éclat à la lumière fébrile de son imagination. Mais ce n’est pas juste de l’imagination, Kafka ne cesse de prêter attention aux choses inopportunes, à se planquer devant le miroir gelé pour ramasser toutes ces brisures, tous ces indices, toutes ces traces humaines que laissent sur leur passage, tous ces gens que nous ignorons « dévoyés » par leur apparence.
De ce point de vue, nous sommes tous des personnages de Kafka en quête d’identité, qui nous heurtons non pas à nos ombres mais à nos silhouettes en carton-pâte qui nous permettent de circuler sans trop d’encombre. C’est le laissez-passer de notre bonne mine qui nous empêche de sourire sur nos cartes d’identité.
Grâce à la belle mise en scène de Sylvie Blotnikas et Julien Rochefort, nous le retrouvons notre sourire !
La douceur de Sylvie BLOTNIKAS et la drôlerie de Julien ROCHEFORT s’accordent heureusement aux récits de Kafka cocasses et pleins d’humour, pénétrants comme un charme insolite et précieux !
Paris, le 18 Février 2020
Evelyne Trân