Direction musicale
Mickaël LIPARI-MAYER
Complicité musicale, Pascal AMOYEL
Avec
Michel VOLETTI récitant adaptateur
Mickaël LIPARI-MAYER au piano
« De Profundis » – ultime oeuvre en prose d’Oscar Wilde (1897) – précède le point final de son oeuvre que constitue le long poème « La Ballade de la geôle de Reading » écrit deux ans avant sa mort à Paris en 1900.
« De Profundis » est une lettre d’amour rédigée à l’intention du jeune Lord Alfred Douglas lequel n’en prit jamais connaissance…
L’écrivain et dramaturge connut deux années de travaux forcés à la suite de trois procès perdus contre le père de son amant. Dans ce contexte tragique l’homme de lettres a opéré un travail de réflexion voire d’introspection. Plus de cent soixante pages – des fragments attendraient encore leur publication – dans lesquelles Oscar Wilde se livre avec une sincérité bouleversante. La relation entre le jeune lord et son aîné, parvenu au faîte de la gloire, fut traversée des soubresauts inhérents à toute passion amoureuse. L’homme déchu en déroule le film aux scènes crépusculaires alternant avec de rares éclaircies. La musique de l’âme sonne juste; elle se déploie, pétrie d’humanité et nourrie de la grandeur éblouissante du pardon.
Voici quelques années, le comédien Michel Voletti avait adapté pour le théâtre et interprété ce texte. Il le reprend aujourd’hui « dans une forme nouvelle pour le porter plus loin ». C’est là qu’intervient en amont le magnifique pianiste Pascal Amoyel en proposant son aide à Mickaël Lipari-Mayer afin que celui-ci réalise la direction musicale de la présente lecture.
Le jeune prodige de 24 ans – disciple, notamment, d’une élève d’Emil Guilels – aborde l’instrument dès l’âge de 5 ans avec Pascal Amoyel et obtiendra à l’unanimité du jury son Prix de fin d’études au Conservatoire National de Région de Paris. Rien d’étonnant s’il produit aujourd’hui des étincelles : de son jeu émane la lumière du coeur, tantôt irisée, tantôt palpitante. Lumière toujours inspirante à l’évidence. Eclairant un spectacle aux rythmes comme aux climats subtilement différenciés. Mais toujours en harmonie.
En guise d’ouverture : Philippe Hersant pour la bien nommée « Ephémère n°13 ». Puis, de Frédéric Chopin -qu’affectionnait grandement Oscar Wilde – un prélude. D’autres préludes suivront, associés à deux mazurkas et une valse toutes entremêlées d’oeuvres signées César Franck, Edvard Grieg (surnommé « le Chopin du Nord »), Robert Schumann (ami proche de Chopin), Franz Schubert, Olivier Messiaen et Jean-Sébastien Bach dont on sait l’influence sur le tout jeune Frédéric. Touche finale : Franz Liszt pour une « Bénédiction de Dieu dans la solitude » qui synthétiserait à elle seule l’absolue cohérence d’un propos.
Un propos d’une extrême densité et pour lequel Michel Voletti, en respectueux « passeur », a su développer d’instinct l’humanisme que peut requérir l’acte d’adapter : les incises effectuées dans l’imposant texte original se révélant, ici, invisibles.
Portant l’émotion à son paroxysme, le comédien évite cependant toute théâtralité et captive ainsi l’auditoire au fil de l’heure et demie où résonne cet oratorio à trois voix présenté sans mise en scène et sans décor. Le récitant – par sa présence, son naturel, son implication comme sa nécessaire distance avec le texte – nous rend celui-ci infiniment proche. Nous devenons, plus que des spectateurs, les confidents de ce qui apparaît bien souvent comme une confession des plus intimes.
Au cours de cette longue lettre Oscar Wilde conserve encore, semble t-il, quelques traces infimes du bonheur perdu. Dans un état de rédemption et d’humilité. A cet égard, la spiritualité et le mysticisme – dont parfois les mots portent l’empreinte – forment un volet pour le moins inattendu dans l’oeuvre de l’écrivain.
C’est pourquoi la dimension musicale prend ici sa place légitime.
Michel Voletti transcende le tragique. Mickaël Lipari-Mayer y concourt à part égale. Tous deux sobres et intenses à la fois. Le partage se vit sur scène. Tout comme avec le public, recueilli, subjugué. Puis infiniment reconnaissant…pour ce fascinant « moment de plénitude » voulu et obtenu par deux artistes sensibles. Pleinement conscients de l’enjeu. Tout simplement.
Laurent Gharibian