
- Metteur en scène : P Nicaud
- Metteuse en scène : H Darche
- Interprète(s) : K Ventalon, P Courteix, S Bourdeau, J Hostier, S Albillo, P Nicaud, alternance, D Goudet, S Scherr, O Bruaux, F Merlo, E Ulmann
- Régisseuse : H Darche
« Atmosphère ! atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » lançait Arletty à Jean Jouvet dans le film Hôtel du nord de Marcel Carné avec des dialogues d’Henri Jeanson, sorti en 1938.
Nous l’avions oublié mais Quai des brumes est sorti à la même date avec cette fois-ci les dialogues de Prévert. Une gueule d’atmosphère ? Sous la main grossière du verbe, du trivial, la sueur, c’est l’énergie du désespoir qui frappe les spectateurs. L’ombre s’exaspère sous la lumière, le dur ne peut jurer qu’avec le tendre, le grossier avec le délicat, le diable avec l’ange. Chez Marcel Carné, les contraires s’attirent toujours comme dans l’univers de Prévert où tous les personnages ont en commun une sorte de mélancolie bruyante, une vulnérabilité criante. Chacun clame son existence, qu’il soit salaud, marginal, artiste, déserteur, défenseur de la veuve et de l’orpheline, ou tout simplement ange égaré.
C’est donc un régal pour les comédiens d’incarner de tels spécimens. Mais ce n’est pas que du cinéma c’est de la réalité aussi, l’offensive des trottoirs, des ruelles, car le théâtre est déjà dans la rue. Nous croyons voir toujours la même chose mais il suffit de s’arrêter à un détail pour saisir que chaque passant a son histoire, chaque maison, chaque pan de mur change progressivement d’apparence dans ce tour de passe-passe banal et extraordinaire du jour à la nuit.

La nouvelle adaptation théâtrale de Quai des Brumes de Philippe Nicaud fait résonner les coïncidences entre les visages, les corps et leurs attaches à la matière brute. Elle tremble d’effroi, nous disons-nous, elle est adossée contre une échelle en bois, elle est belle, elle attend son amoureux. Mais nous ne sommes pas au cinéma qui gèle notre vision, cette personne est là, vivante sous nos yeux, elle transpire, elle soupire !

Comme nous aimons ce théâtre là qui nous permet de renverser d’un geste la lumière crue de la télévision. Ici l’accordéoniste, Sébastien Albillo a un rôle à part entière, il devient le chœur d’un mélodrame où tous les personnages ont rendez-vous avec la mort ce qui a pour effet paradoxal de les illuminer. Le clair-obscur en crescendo qui oriente la chorégraphie musicale et impressionniste des metteurs en scène, Philippe Nicaud et Hélène Darche, répond au désir de tout spectateur de sorti ému d’un spectacle.
Oui, tous les interprètes de ce Quai des brumes ont « une gueule d’atmosphère » à la Prévert et c’est jubilatoire !
Paris, le 29 Juin 2019
Evelyne Trân