Texte
Adaptation
Mise en scène
Comédien(s)
Décors
La douleur n’est pas toujours audible. C’est le corps qui en parle le mieux. La voix doit se frayer un passage sur un terrain inconnu, vaste comme une forêt, une plage déserte, ou bien des sanglots sans suite. Il y a des voix qui tremblent au fond du puit. Certains diront que ce n’est pas du ressort du théâtre de leur offrir un lieu pour s’exprimer.
Nous dirons le contraire. Une scène de théâtre peut devenir un lieu intime, un lieu de rendez-vous avec des voix sensibles inaudibles de l’extérieur, éjectées sur les bords de trottoirs parce que dit-on, elles ne participent pas à l’effervescence des activités humaines, elles ne promeuvent aucun monument, elles n’ont pas de vitrines, elles se déposent comme un tas de feuilles mortes dans nos rêves et seul parfois un courant d’air de soleil semble pouvoir les ranimer.
Il est certain que ces voix font partie du champ intérieur de l’être avant même de se muer en paroles, elles résonnent dans la solitude et s’y complaisent même sachant que toute intervention extérieure pourrait les faire fuir. Mais après tout, ne s’expriment -elles pas pendant qu’un enfant dessine, qui oserait interrompre un enfant en train de dessiner. Quel est donc ce miracle qui a permis aux peintres de cavernes de s’abandonner à leur imaginaire, aux artistes dits primitifs de créer leurs masques et leurs totems ?
Ces réflexions à l’emporte-pièce nous viennent à l’esprit à propos du spectacle proposé par Céline PITAULT « Celle qui revient là, celui qui la regarde » qui constitue une belle approche de l’écrivaine russe Marina TSVETAEVA à partir de ses carnets et du livre de confessions « Vivre dans le feu ».
Tzvetan TODOROV nous dit dans sa préface qu’un grand écrivain est celui qui parvient à trouver les mots pour exprimer ce qui avant lui était indicible.
Marina Tsvetaeva croyait au vivre-écrire. Elle dit ce qu’elle ressent et ce faisant elle témoigne de toutes les douleurs qu’aucun cri, aucune parole ne peuvent résorber. Elle nous touche au-delà de nous-mêmes, il y a de l’inconnaissable, inconnu en elle-même, qui questionne nos limites, brave la réalité et d’une certaine façon la mort, car la mort c’est aussi l’indifférence.
N’avoir le droit d’être soi-même que caché, exilé, ignoré, Marina Tsvetaeva a vécu ce sentiment d’injustice jusqu’au bout, jusqu’à l’épuisement de sa force morale.
Tzvetan Todorov le souligne, le destin de Marina Tsvetaeva est «inextricablement mêlé à l’histoire contemporaine de l’Europe, marqué par deux guerres mondiales et par l’avènement de de deux régimes totalitaires ». Elle a connu la famine, la guerre civile pendant la Révolution d’Octobre puis l’exil à Paris et enfin à nouveau la misère et la solitude de retour en Russie en 1941 pendant l’invasion allemande.
N’est-ce point un luxe de se vouloir poète dans un monde bouleversé. Plusieurs fois Marina Tsvetaeva mettra entre parenthèses ses créations pour mieux se consacrer à ses proches. Mais il est évident qu’écrire lui permet de raviver sa propre flamme, et dès lors que ce désir d’écrire n’est plus là, elle entrevoit la fin, le bout.
La mise en scène de Ludovic LONGELIN met l’accent sur les circonstances les plus tragiques de son existence, notamment sa fin de vie lorsqu’elle se retrouve seule avec son fils ( Renaud HEZEQUES, saisissant ). Celui-ci est représenté par un personnage quasi grotesque qui ricane, incarnant de façon hallucinatoire cette frontière indissoluble entre le monde extérieur et le monde intérieur de Marina Tsvetaeva.
Un personnage que seule sa voix habille de pensées qui ont arpenté toutes sortes de courants des meilleurs aux pires. Il importe de découvrir son livre « Vivre dans le feu » pour être saisi par sa vivacité.
Nous avons envie d’imaginer Marina Tsvetaeva heureuse, elle est une main tendue à ceux qui ne croient pas pouvoir communiquer leurs souffrances.
« La blessure de l’immortelle conscience, comment y faites-vous face ? »
C’est un chemin de vie parcouru par une conscience entière et rare que nous donne à découvrir ce spectacle exigeant, austère mais pénétrant !
Telle une flamme vacillante que seuls ses mots habillent, ainsi apparaît Marina Tsvetaeva incarnée par Céline PITAULT.
Paris, le 28 Avril 2019
Evelyne Trân