-
Interprètes : Fred Aklan, Jossia Bédu, Christine Duboux, Jean-Cyrill Durieux, Suzana Joaquim Maudslay, Julien Massetti, Isabelle Vanluyten.
Nous connaissons tous cette expression « La vie ne tient qu’à un fil », nous pourrions dire de même de la vérité.
La pièce « Soudain l’été dernier » souligne le drame de ces personnes internées dans des asiles psychiatriques par leur famille, de façon totalement abusive et lève le voile sur des sujets particulièrement tabous à son époque – la pièce a été écrite en 1958 – l’homosexualité, la pédophilie et le commerce sexuel.
Tennessee WILLIAMS donne l’impression de visualiser la toile tissée par une araignée prédatrice autour d’une mouche prête à tomber dans le vide.
Est-ce parce qu’une mouche est déjà tombée dans le vide et qu’il n’est plus possible de l’interpeller qu’il revient à celle qui a été témoin du drame de le raconter ?
Qui entendre, qui croire ? Un médecin ambitieux, prêt à expérimenter la lobotomie sur ses patients se trouve confronté aux versions opposées d’une part de la mère, Mrs VENABLE et d’autre part de la cousine internée en asile, Catherine HOLLY, au sujet d’une personnalité qui vient de mourir dans des circonstances étranges, Sébastien VENABLE, présenté comme un poète chaste et pur par la mère et d’après le récit terrible de la cousine comme un prédateur sexuel.
Le médecin n’aurait-il pas tout intérêt à entériner les propos de la respectable Mrs VENABLE qui s’indigne de l’opprobre jetée sur son fils par les dires de la cousine, qui ne devraient pas être pris au sérieux puisqu’ils sont entachés par sa folie présumée.
Nous assistons en quelque sorte à un véritable procès dont l’issue est cruciale puisque faute d’être crue, Catherine HOLLY risque pour le moins d’être enfermée à vie et lobotomisée.
Contre toute attente, le récit de Catherine sonne vrai. Il n’est pas violent, il est l’expression d’une émotion toujours présente qui rend pleinement compte d’une réalité atroce, indescriptible.
Du coup, le médecin ne peut se bander les yeux face à ce qu’il ressent comme une tragédie qui touche à ce qu’il y a de plus intime chez un individu, le sexe et la mort.
L’interprétation de Suzana Joaquim MAUDSLAY, également adaptatrice et metteure en scène nous a paru remarquable. A aucun moment, elle ne joue la folie, ni même la raison, elle exprime un personnage en prise avec des émotions qui la dépassent, comme si elle avait assisté à un événement surnaturel.
Jossia BEDU apporte toute sa virulence au personnage de Mrs Venable, la terrible mère, tandis que par contraste Julien MASSETTI interprète de façon discrète le Docteur Sugar.
Tout l’art de Tennessee Williams s’exprime dans le fait qu’il n’enfonce jamais les clous, il laisse planer le doute ou le fil, mesurant le tempo de chaque respiration.
Le spectateur se retrouve au pied du mur face à ce qui échappe à l‘ordinaire, qui est susceptible de bouleverser sa conscience. Aussi rigide et étroit que puisse apparaître le cercle familial de Catherine HOLLY, par la force de sa sensibilité, nous pénétrons dans les limbes de la tragédie qui fait tomber les masques.
Sobre et concentrée sur le jeu des comédiens, la mise en scène de Suzana Joaquim MAUDSLAY touche au cœur de la trame de cette pièce de façon saisissante. Un spectacle à ne pas manquer !
Paris, le 11 Février 2019
Evelyne Trân