Bernard Nadel : l’esprit Brassens par Laurent Gharibian

 

 

Le CD s’intitule « Dans un coin de Paris… ». Une référence toute personnelle à la chanson Le Bistrot (1) qui commence ainsi : « Dans un coin pourri / Du pauvre Paris ». Depuis, le quartier a connu bien des transformations et la clientèle de l’établissement s’est renouvelée. Dans ce texte à l’humour leste, Brassens exprime son dépit de ne pouvoir séduire Georgette, « La bell’ du bistro / La femme à ce gros / Dégueulasse » qui n’était autre que le champion de boxe Yanek Walczak…

Le lieu est devenu mythique (cf. encadré) car Brassens y avait ses habitudes. Parfois, il y écrivait des chansons sur la nappe… C’est ici-même que le présent CD a été enregistré (2). À signaler l’excellente prise de son réalisée, en public, par le très respecté Lionel Risler (Sofreson, Paris). S’accompagnant – de belle manière – à la guitare, Bernard Nadel a invité Pierre Maindive dont la contrebasse créé un climat. « Sa contribution, c’est ma colonne vertébrale. »

Sur les vingt titres que comprend ce premier disque officiel, treize portent la signature de Brassens dont trois, respectivement, sur les poèmes d’Antoine Pol, Pierre de Ronsard et Paul Fort. Bernard Nadel chante Brassens sans jamais en imiter le phrasé et affirme un réel sens du tempo. Voix claire, timbre chaleureux, l’interprète restitue – avec retenue mais suffisamment de présence et de finesse – un univers connu pour les contrastes qui caractérisent autant le développement narratif que la maîtrise du discours mélodique. Pour Brassens, notre homme connaît son affaire : on redécouvre ainsi Celui qui a mal tournéLa Marine, sur le poème de Paul Fort, La fille à cent sousL’Amandier ou Histoire de faussaire. Parmi les plus connues, on appréciera, sans réserve L’OrageJe me suis fait tout petitChanson pour l’AuvergnatOncle ArchibaldLes copains d’abord. Et, d’Antoine Pol, Les Passantes, l’incomparable réussite d’une alliance entre mots et musique : l’un des grands moments de ce disque avec ce Gastibelza pour lequel la postérité a donné raison à François-Louis-Hippolyte Monpou lors-qu’il a passé outre au fameux « Défense de déposer de la musique sur mes vers » que proclama Victor Hugo.

Par ailleurs, Bernard Nadel se montre inspiré lorsque sur Lettre à Cassandre, le poème de Ronsard, il propose la musique que Brassens avait composée pour Les Passantes. Notre homme y ajoutant aujourd’hui le couplet final que voici : « Si pour qu’une rose trépasse/ D’un matin suffirait l’espace/ Qu’enfin chez Malherbe tu vinsses/ Ou Ronsard, ou la jeune marquise / Que Corneille fait bailler et courtise/ En moins de temps passa Brassens ».

L’option se révèle aussi légitime que la musique nouvelle déposée sur les poèmes d’un François Villon (La Ballade des pendus), d’un Verlaine (Les Grotesques) ou d’un Victor Hugo (Chanson de pirates).

Toujours comme mélodiste mais aussi comme auteur, Bernard Nadel, s’inscrit avec naturel dans cet « esprit Brassens » en proposant L’Empoisonneur. Il prolonge le plaisir de l’auditeur lorsqu’il intercale entre deux poèmes chantés (Paul Fort, François Villon) cette rareté qu’est L’amour est passé près de vous dont l’un des deux paroliers n’est autre que Raymond Souplex ! Le concert se clôt sur un sommet de la chanson populaire, fort bien restitué : La Complainte de la Butte. (3).

À la chanson Le Bistrot, Bernard Nadel s’est plu à ajouter en codicille ce qui suit : « Brassens aujourd’hui / C’est l’nom dans Paris / De cett’ place/ Où l’ami Jean-Louis / A gardé en vie / Toutes les traces. » Sur la pochette intérieure du CD, Jean-Louis – fils de Yanek Walczak qui présida aux destinées du lieu – répond ainsi : « C’est dans ce même bistrot, qu’a célébré Brassens dans sa chanson, que Bernard m’a fait le plaisir, un demi-siècle plus tard, de rendre à son tour hommage à Georges… et à mes parents. Merci Bernard ! »

Paris, Théâtre du Gymnase, le 11 avril 2018. Dans ce lieu de 800 places, son directeur a eu l’idée d’accueillir Bernard Nadel dans son spectacle Brassens – avec l’excellent Pierre Maindive à la contrebasse. Sans tambour ni trompette – une seule affiche dans Paris –, le chanteur a fédéré un peu plus de 400 spectateurs dont beaucoup, au moment des rappels, étaient debout. Nous y étions. Résultat : Bernard Nadel a été programmé dans ce même théâtre le samedi 13 octobre 2018.

Laurent Gharibian

Copyright article paru dans www.jechantemagazine.net

Notes

(1) Dans l’édition originale du recueil de chansons paru chez Seghers en juillet 1963, le mot est orthographié « bistro » dans le titre comme dans le texte. Mais le mot « bistrot » figure tel quel sur le 45 tours original 432 514 repris sur le 33 tours 25 cm. N° 7- Philips B 76.488.R. L’enregistrement date du 4 mars 1960.

(2) Le 3 novembre 2013 Chez Walczak (Aux Sportifs Réunis) 75, rue Brancion, Paris 15ème, à deux pas du Parc Georges-Brassens. CD 20 titres. Autoproduit. 58’27.

(3) Pour cette chanson, sa créatrice, Cora Vaucaire, prête sa voix à l’actrice Anna Amendola dans le film French Cancan de Jean Renoir. Le cinéaste a écrit les paroles de La complainte de la Butte, musique éloquente de Georges van Parys. C’est dans la version d’origine que Rufus Wainwright interprète ce grand classique dans la B.O. du film Moulin Rouge de Baz Luhrmann (2001).

Chez Walczak, un lieu mythique

La chanson Le Bistrot est née du dépit de son auteur. En effet, l’ami Georges a longtemps fréquenté un « vieux bouge » auquel une « espèce de fée » avait contribué à donner son éclat. Brassens, comme beaucoup d’habitués, n’était pas insensible au charme de Georgette, la femme du maître de céans. Il la dépeint comme « La bell’ du bistrot » ou « Cette jolie fée / Qui d’un bouge a fait / Un palace ». Mais l’attrait n’est pas réciproque : « Pas né le chanceux / Qui dégel’ra ce / Bloc de glace / Qui fera dans l’ dos / Les cornes à ce gros / Dégueulasse ». À travers le qualificatif qui précède, le boxeur Yanek Walczak, s’est reconnu et a menacé Brassens. Ce dernier, lorsqu’il apercevait le mari, préférait changer de trottoir… Or, quelque temps après la sortie du disque (mars 1960), le vieux bistrot n’allait plus désemplir… C’est ainsi qu’entre les deux gaillards viendra bientôt la réconciliation…

  • Chez Walczak :

75, Rue Brancion, 75015 Paris (01 48 28 61 00).

Un premier CD aujourd’hui collector

À l’occasion des Journées Georges Brassens 2011 organisées à Paris au Parc Georges Brassens, Bernard Nadel avait enregistré avec l’A.C.E. un premier album 10 titres (hors-commerce et à tirage restreint. Aujourd’hui collector recherché). On y entend à la deuxième guitare Étienne Konarzewski et Flavio Perrella à la contrebasse. Le programme comporte plusieurs titres que l’on retrouve dans l’album « Dans un coin de Paris… ». Citons, en premier lieu, l’emblématique Gastibelza – L’homme à la carabine puis sept chansons signées ou cosignées Brassens : L’AmandierLa MarineLes PassantesOncle Archibald et L’Orage. Ainsi que Le grand chêne et Le Parapluie – elles-mêmes absentes du récent CD.

À noter que le collector cité plus haut contient, sous le titre Ronsard, la chanson    désormais baptisée Lettre à Cassandre.

Focus sur Les places de Paris ou La ballade des places de Paris (1905) dont l’auteur du texte, Lucien Boyer, écrivit notamment pour Mistinguett, Mayol, Fragson, Maurice Chevalier ou Damia. La chanson, curieuse entre toutes, fait partie des vingt-sept titres que Brassens enregistra à Paris les 14 et 15 mai 1980 – en soutien à l’association Perce Neige de son ami Lino Ventura – dans les studios de Radio Monte Carlo. Brassens ne pourra assister à la sortie (1982) du double album intitulé « Brassens chante les chansons de sa jeunesse ». C’est dans cet enregistrement que se trouve L’amour est passé près de vous. Bernard Nadel a souhaité – joli clin d’œil – inscrire ce titre à son propre répertoire, entre Paul Fort et François Villon. Comme en témoigne « Dans un coin de Paris… »que l’on peut aujourd’hui considérer comme le premier album officiel du chanteur.

Renseignements : www.bernardnadel.fr

À consulter également l’excellent blog de Pierre Schuller :

et celui de l’ACE 15 (Association Culturelle Événementielle 15) :

Pour toute commande du CD « Dans un coin de Paris… » : 

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