© photo : Sasu Riikonen / conception graphique : Chouette ! Thomas Daval / Valérie Lecomte
Avec : Emma Barcaroli, Geoffrey Dahm, Nassim Haddouche, Pauline Masse, Mathieu Saccucci
Maurine Baldassari Maquillage
Jean-Frédéric Béal Création lumières
Cyriaque Bellot Musique
Cécilia Delestre Création costumes
Mathias Delfau Création vidéo
Nicolas Gros Régie générale
Sandrine Lamblin Scénographie
Gaultier Patrice Régie son
Jean-Bernard Scotto Création costumes
Judith Scotto Maquillage
Judith Scotto assistée de Maurine Baldassari (Perruques), Nicolas Gros (Régie lumières), Gaultier Patrice (Régie vidéo)
Les rêves s’inscrivent rarement dans la réalité, faute de quoi le désir qui permet à un individu d’aller au-delà de ses connaissances, d’aller de l’avant et tout simplement d’aborder l’autre par essence différent, ne pourrait s’exercer.
La terre ne serait qu’une poussière d’étoile qui a explosé il y a des millions d’années. L’idée de voyage est déjà contenue dans notre perception de l’infini, elle serait presque un gage d’éternité ou d’absolu infini dans la mesure même où cela va à l’encontre d’une perception très limitée de notre propre existence.
L’éveil du printemps de Aiat FAYEZ, nous raconte la terrible expérience de A qui a cru que son rêve pouvait devenir réalité. Il imagine un individu habitant la planète Platoniun, fasciné par notre planète Terre, sa magnifique image qui se déploie devant lui, à quelques années-lumière de Platoniun, très petite en comparaison. Il ne cesse d’idéaliser les terriens qu’il croit très supérieurs à ses congénères. Il obtient un visa pour la terre afin de poursuivre ses études et fait connaissance avec ces terriens lesquels ne le rejettent pas ostensiblement mais ne l’accueillent pas non plus à bras ouverts sans qu’il puisse s‘expliquer pourquoi. Il se retrouve dans la peau de l’étranger
quoiqu’il tente pour s’adapter alors qu’il croyait trouver chez les terriens, une nouvelle famille, une nouvelle terre.
Evidemment à travers A, l’auteur exprime ce sentiment diffus d’exclusion qu’aura pu éprouver tout étranger en France qui découvre les difficultés d’intégration dans un pays où des politiciens ne cessent de pointer du doigt l’étranger comme un danger, et ce faisant utilisent les craintes primitives de l’envahisseur ou ce réflexe primaire qui plombe l’horizon, celui de la peur de l’inconnu. Dès le plus jeune âge, l’enfant apprend qu’il ne doit pas parler à un inconnu. Cet inconnu c’est le loup qui va manger le chaperon rouge. La recommandation est parfaitement justifiée dans notre monde cruel mais à l’âge adulte, elle devient aveuglante si elle paralyse le réflexe d’empathie, synonyme de sociabilité.
La démonstration de l’auteur ne s’encombre pas de discours, elle afflue par petites touches inscrivant chacun des personnages dans une sorte de nuit étoilée, exprimant la vision confuse et passionnée de A, découvrant que son rêve s’arrête dès lors qu’il n’est plus question de percevoir les terriens dans leur dimension cosmique, mais d’admettre qu’ils sont suspendus dans leur course, immobilisés par la crainte qu’il provoque malgré lui.
A la source, cette fascination de A pour la beauté de la terre est fort bien exploitée par le metteur en scène Alain BATIS. L’épure de la scénographie permet aux spectateurs de contempler cette terre sur écran géant, seuil d’horizon inouï, rendant accessoire, tout le reste, l’environnement de A réduit à un lit transportable, le même à Platoniun que sur Terre.
Le semblant de liberté accordé par une musique d’ambiance volontairement très cool, est d’ordre conventionnel. Impossible de faire cracher au terriens leurs véritables sentiments, le miroir est dépoli et en le fixant trop, A risque seulement de se voir défiguré, pire être considéré comme une bête curieuse.
A, comme le petit Prince de Saint Exupéry, a des étoiles plein la tête. Bleu comme la nuit, comme l’espoir, ce migrant, cet étranger pourrait souffler à l’oreille d’une jeune fille « Dessine-moi un extra-terrestre ».
La clarté de la mise en scène d’Alain BATIS qui reflète la sincérité du jeune A ainsi que le jeu des comédiens font sourdre les émotions toujours refluées vers les non-dits qui parasitent les relations jusqu’à tendre vers l’irrationnel. L’atmosphère onirique approfondit l’espace de communication entre les êtres, mettant en lumière leurs zones d’ombre, leur vulnérabilité, leur difficile cohésion.
Cet éveil du printemps c’est Rimbaud qui affirme « Je est un autre ». Le dire et le vouloir vivre, quelle gageure, quel défi pour A !
Alain BATIS et toute son équipe embarquent le spectateur dans une belle odyssée, cosmique ou terrienne, n’ayons pas peur des mots, universelle !
Paris, le 22 Février 2018
Evelyne Trân