Disparue le 4 août 2017, elle aurait fêté le 14 novembre ses 90 ans. Ève Griliquez laisse une moisson de réalisations marquantes, qu’elles soient scéniques ou discographiques.
De 1970 à 1985, elle avait produit sur France Culture l’émission Libre parcours variétés, un véritable terreau de créations en tous genres où se côtoyaient chanson francophone, jazz, humour, musiques du monde, musique classique, musique contemporaine. Une expérience longue durée jamais renouvelée. Depuis le milieu des années 60, la presse nationale lui a régulièrement ouvert ses colonnes. On peut citer ici le succès du spectacle OMAJAKENO qui connut, en France et à l’étranger, plus de 250 représentations.
À l’occasion de récitals poétiques ou de conférences autour de la chanson, Ève Griliquez s’est produite dans plusieurs pays : Argentine, Chili, Cuba, Israël, Roumanie (le pays de son berceau familial) Suède, Norvège.
En 1961, à Paris, elle avait recueilli, tout intimidée, une interview du « géant aux yeux bleus » Nazim Hikmet. J’eus le privilège d’entendre ce dialogue dans son intégralité, au cours des années 90. Nous sommes nombreux à espérer l’édition de ce document d’exception. Et puis, un beau jour, Ève m’avait montré la dédicace de Pablo Neruda sur le recueil qu’il lui avait offert en 1965.
Una Ramos a intitulé Ève une zamba (et non samba) de son Argentine natale. Un pays particulièrement cher au cœur de notre comédienne éprise des musiques populaires du monde entier. À Paris, elle avait assisté à l’un des concerts que donnait au
Châtelet le mythique chanteur de tango Roberto Goyeneche. Plus tard, elle avait croisé Astor Piazzolla, le Sexteto Major. Et l’immense Atahualpa Yupanqui.
Quant à la péninsule ibérique, l’un de ses représentants les plus fameux, Paco Ibanez, nourrissait pour Ève une amitié indéfectible. Elle était également estimée d’Amancio Prada, de Francisco Curto. Et de Lluis Llach. Elle aimait travailler avec des comédiens d’exigence et ce, quelle que soit leur notoriété. À partir des années 90, Ève avait enregistré avec Jean-Luc Debattice (album Hikmet), Yves-Jacques Bouin (album Fondane), Denis Lavant (album Desnos).
Tout au long de sa vie, elle a aimé faire se rencontrer des artistes venus d’horizons différents. Un exemple me reste en mémoire : c’était à la Tanière, lieu de chanson aujourd’hui disparu, le co-récital Danielle Messia–Gilles Méchin. Intense moment d’émotion. Aboutissement humain et artistique de premier ordre.
La chanson, une vraie passion. Anne Sylvestre, Francesca Solleville, Marie-Thérese Orain, Jacques Debronckart, Maurice Fanon, Pierre Louki, Christian Camerlynck, Bernard Haillant, Jean Guidoni, Allain Leprest faisaient partie de son panthéon personnel. Parmi les chanteurs émergents, elle avait soutenu Nilda Fernandez. Et plus récemment se plaisait à écouter Raphaël…
Parmi les grandes rencontres, il y eut voici deux décennies l’équipe du Loup du Faubourg, cabaret poésie et chanson où Ève rencontra un public nouveau, lui aussi passionné par les poètes du monde entier.
Pour parachever un tourbillon de rencontres enrichissantes, il y eut celle avec Luis Rigou et Hélène Arntzen, tous deux compositeurs, musiciens et responsables d’un label discographique et d’un lieu dédié au spectacle vivant. Ces dernières années, Ève me parlait souvent de deux projets qui lui étaient chers. Un disque autour de textes de Léonard Cohen. Un récital et/ou un album entier autour de la poésie de Pasolini dont elle avait enregistré quelques maquettes sous l’œil amical et bienveillant de ce couple qui devint pour elle comme une seconde famille. Les maquettes existent encore. Patience. Et peut-être… un vero miracolo.
Chapeau bas, ma chère Ève.
Laurent Gharibian
Novembre 2017
Cet article a été publié dans le nouveau numéro de JE CHANTE MAGAZINE
https://www.jechantemagazine.net
L’interview de Eve GRILIQUEZ : https://www.jechantemagazine.net/single-post/2017/08/04/Eve-Griliquez-un-parcours-libre
Respiration
Pourquoi j’ai choisi la poésie ? Parce qu’il me semble qu’à travers elle, j’arrive à exprimer des choses. je ne suis que le véhicule des autres, je ne m’interprète pas, mais à travers le sentiment de Fondane, de Desnos et d’autres, il y a certaines choses qui vibrent à l’intérieur de moi. Cela renvoie à la vocation. Car si on ne fait pas carrière avec la poésie, même étudiante, même comédienne, j’ai toujours dit que c’était par la poésie que je ferai quelque chose. Évidemment, j’ai eu divers métiers, mais dire des poèmes fut toujours pour moi indispensable. Si je ne dis pas des poèmes, je ne me sens pas bien.
Extrait de Le Libre parcours d’Eve Griliquez, publié aux Éditions du Layeur, Paris, 2005.