Auteur : William Shakespeare
Artistes : Thomas Marceul, Julia Picquet, Rémy Rutovic, Antoine Théry
Metteur en scène : Ned Grujic
Elle est assez étrange la mise en scène de Ned GRUJIK qui laisse voguer quelques bateaux enfantins en papier rouge comme dans un théâtre de marionnettes, pour nous voiler la face qui ne peut manquer de rougir, voire de frémir, d’éprouver si actuelle, la fameuse tirade de Shylock *, l’usurier juif, figure du méchant dans la pièce qui s’oppose à Antonio, le chantre de l‘amitié, totalement désintéressé. Ces bateaux en papier rappellent les chapeaux rouges pointus à bord relevé que devaient porter les juifs come signe distinctif.
Shakespeare n’était pas antisémite sinon il n’eut pu donner un caractère si humain à ce personnage d’usurier pour lequel l’argent ne représente qu’une compensation de façade face à la situation d’humiliation et d’opprobre qu’il subit à Venise mais aussi bien en Angleterre sous le règne d’Elisabeth 1ère.
Dans cette pièce du Marchand de Venise comme toujours Shakespeare intègre plusieurs pigments, nous y retrouvons celui de l’amour, de l’amitié, de la fantaisie et plus sombre celui de la vengeance et de la déchéance.
Antonio, le marchand Venise n’hésite pas à emprunter à l’usurier Shylock les 3000 ducats nécessaires à Bassanio, l’amoureux de Portia, fille d’un grand roi qui doit ruser avec les injonctions de son rang. Shylock qui déteste Antonio le chrétien, lui demande en caution une livre de sa proche chair qu’il devra lui consentir si l’emprunt n’est pas remboursé à la date convenue.
Affreux contrat qui dénonce déjà le capitalisme puisque cette chair représente effectivement les pauvres gens qui se saignent à blanc pour rembourser leurs dettes.
Quant à Portia qui se déguise en homme, elle porte l’étendard des féministes en germe et il ne faut pas l’oublier, celle qui encourageait les pièces de Shakespeare n’était autre qu’Elisabeth 1ère.
Dans un foulard léger, la mise en scène laisse s’échapper les personnages principaux de la pièce interprétés par quatre bons comédiens.
Cependant le sable de l’histoire pique les yeux, la fable pourrait faire mal au ventre comme si après avoir avalé de la barbe à papa toute rose, nous ne savions plus quoi faire du bâton qui la soutenait.
Il appartient donc aux spectateurs de se dégager du brouillard tout rose et de reprendre leurs esprits. La honte qu’éprouve Shylock, c’est aussi la nôtre quand nous laissons dire et faire.
L’antisémitisme ambiant qu’expose dans cette pièce Shakespeare devrait tous nous blesser. Que nous soyons juifs ou non, ne haussons pas les épaules !
Paris, le 4 Février 2018
Evelyne Trân
*« Un Juif n’a-t-il pas des yeux ? Un Juif n’a-t-il pas des mains, des organes,
des dimensions, des sens, de l’affection, de la passion ; nourri avec
la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé
aux mêmes maladies, soigné de la même façon,
dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été
que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ?
Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez,
ne mourrons-nous pas ? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ? »