de Georg Kaiser Traduction de l’allemand René Radrizzani Mise en scène Agathe Alexis Scénographie et costumes Robin Chemin Réalisations sonores Jaime Azulay Lumière Stéphane Deschamps Chorégraphie Jean-Marc Hoolbecq Collaboration artistique
Avec : Jaime Azulay, Bruno Boulzaguet, Benoît Dallongeville, Ariane Heuzé, Hervé Van der Meulen
Il n’y a plus de contrées inexplorées, pensons-nous, à une époque où nous sommes submergés par des informations de toutes parts, grâce à internet et les réseaux sociaux par exemple. Est-il possible de faire un retour en arrière, au début du vingtième siècle qui n’est pas si loin puisque nos grands ou arrières grands-parents l’ont connu. A cette époque les jeunes filles, notamment celles issues de famille bourgeoise, demeuraient dans une ignorance crasse concernant la procréation. Elles avaient tout loisir pour rêver au prince charmant et il eût été indécent de leur expliquer que leur présence sur terre avait pour origine le frottement de deux corps en chaleur.
Un jour en octobre, la pièce de Georg KAISER, un dramaturge allemand très inspiré par Kleist, et peut-être par Strindberg, nous conte une histoire tout à fait stupéfiante pour nos oreilles modernes.
C’est l’histoire d’une jeune fille qui tombe amoureuse d’un officier et qui est si bien envahie par son émotion qu’elle croit lui ouvrir la porte de sa chambre un soir alors qu’elle fait entrer un garçon boucher qui avait rendez-vous avec sa fiancée.
Elle tombe enceinte et croit de bonne foi que le père est l’officier. L’enfant nait sans père et il revient au tuteur d’éclaircir cette affaire fort scandaleuse, et de retrouver le père pour régulariser la situation. Les deux pères, celui rêvé par la jeune fille et le père biologique entrent en scène. L’un qui tout d’abord nie sa paternité, finit par être séduit par l’héroïne Catherine, l’autre le père biologique de basse condition qui entend monnayer son silence sur l’origine de l’enfant.
Il est né le divin enfant, pas si divin bien sûr ! Alors que le tuteur ne cesse de clamer qu’il agit pour le bien de l’enfant, il faut reconnaître que Catherine ne peut pas briser son rêve de prince charmant, en admettant que ses transports charnels ont eu lieu avec un pauvre garçon boucher.
Il s’agit de son bonheur après tout, n’est-elle pas bel et bien amoureuse de l’officier et ce sentiment amoureux comment pourrait-il frayer son chemin avec celui de la chair.
Dans ce combat de classes où à l’échelon supérieur, règnent l’ordre, la suffisance, la délicatesse d’âme, et à l’échelon inférieur, la grossièreté, l’animal sans scrupules, le tuteur qui veut sauver les apparences et craint par dessus tout, la tache du déshonneur, celle d’avoir pour nièce une fille mère avec un enfant bâtard, s’arrache les cheveux.
La pièce aurait aussi bien pu prendre le titre d’une pièce d’Alfred de Musset « A quoi rêvent les jeunes filles ». Dans Un jour en octobre, le rêve de Catherine tourne la tête de l’officier qui devient à son tour fou amoureux, mais le boucher qui est aussi un homme et qui a su apprécier la chair si délicate de Catherine n’a-t-il point son mot dire ? Quoi, comment, seules les âmes bien nées auraient donc le monopole des vertiges de l’amour ?!
Georg KAISER décolle les étiquettes avec beaucoup d’audace. C’est cette audace dont s’empare avec maestria, la metteure en scène Agathe ALEXIS heureuse de monter en France pour la 1ère fois cette pièce.
L’esprit fait partie de la chair, n’est-ce pas. En tout cas il s’agit d’un propos qui sied particulièrement aux comédiens, tous épatants. Ariane HEUZE , l’interprète de Catherine, est diaphane, elle fait penser à une créature de Gérard de NERVAL. Hervé VAN DER MEULEN, joue avec chaleur un tuteur ébranlé dans ces convictions. Par contraste, Jaime AZULAY incarne sobrement un prêtre dépassé par l’évènement. Quant aux deux pères interprétés respectivement par, Bruno BOULZAGUET et Benoit DALLONGEVILLE, ils réussissent ce tour de force de transformer leurs personnages lors des rebondissements de cette pièce onirique et sociale qui possède tous les atouts d’un thriller psychologique.
C’est un bonheur de découvrir cet auteur Georg KAISER. Certes, les situations évoquées peuvent paraître datées mais les protagonistes parlent toujours de nous-mêmes, de rêves de liberté, hors normes, hors époques. Car si l’esprit ne dialoguait pas avec la chair, tout serait dit, il suffirait de robots pour nous faire parler et alors plus de mystères, plus de rêves…
Le 19 Janvier 2018
Evelyne Trân