Texte
Homère
Traduction
Philippe Jaccottet
Mise en scène, adaptation
Claude Brozzoni
Jeu
Jean-Damien Barbin
Musique
Claude Gomez
Décor
Denis Malbos
Ulysse, un homme qui a vécu. Nous avons tous quelque chose d’Ulysse. Quiconque, la cinquantaine passée déverserait devant un inconnu ou une inconnue, les histoires de sa vie, pourrait soit passer pour un imposteur, un affabulateur, soit un aventurier.
Le doute est acquis et la qualité du récit dépend autant du charisme du conteur que de l’écoute de son auditoire. Si l’odyssée d’Homère qui date de près de 3000 ans nous est parvenue, c’est qu’il s’agit d’un poème collectif transmis par voie orale, la seule voix capable de bousculer les barrières spatiales et temporelles.
A l’époque d’Homère, les voyageurs étaient soit des commerçants soit des guerriers, ils cumulaient parfois les deux fonctions. Ces voyageurs à l’origine du monde d’aujourd’hui partaient toujours vers l’inconnu à leurs risques et périls.
Ce désir d’inconnu, c’est le moteur d’Ulysse qui le pousse à aller à la rencontre aussi bien d’êtres monstrueux, les cyclopes anthropophages que de femmes sublimes, Calypso, Nausicaa, Circé ou encore des âmes de ses proches défunts aux Enfers.
Ulysse apparaît comme un être tourmenté. Il a beau faire figure d’un guerrier éprouvé, il semble bien avoir peur des femmes, de leur pouvoir de séduction, Freud penserait qu’il craint la castration. Quant à son combat contre le cyclope à qui il crève un œil, il parait bien retracer un traumatisme primitif, celui de l’anthropophagie dans une scène terrible délivrée avec une verve toute Rabelaisienne.
Que peut un homme, aussi viril soit-il, contre la destinée, la fatalité représentée par des Dieux qui possèdent tous les défauts humains, la jalousie, la cruauté, en somme tous les péchés capitaux.
Mais Ulysse, c’est le messager de l’homme moderne celui qui défie les dieux, qui déploie toutes ses ruses pour vaincre le cyclope, faire face aux forces convulsives de la nature, de sorte que sa valeur tient naturellement à ses faiblesses qui l’enjoignent à toujours rebondir et à se remettre en question.
Quel être complexe qu’Ulysse ! Le poème d’Homère rayonne comme une vaste mer inépuisable. Cet aspect immersif, la mise en scène de Claude BROZZONI l’exprime tout le long du spectacle. Ulysse donne l’impression d’être seul sur sa planche, il coule de sa bouche des vagues pleines de boue, d’autres ruisselantes de beauté, d’autres inextinguibles. Se superposent à ces chants, une musique délicate, clairsemée, toute en nuances qui jette un voile de douceur sur Ulysse, et les superbes plans vidéo en fond de scène où se projettent des paysages fabuleux.
photo Isabelle Fournier
Ulysse devient grâce à l’interprétation de Jean-Damien BARBIN, un aède forcené qui chante, crie, hurle même ses récits comme il jetterait une bouteille à la mer en un geste poignant et irréversible. C’est un homme qui sort de la mer en guenilles, accompagné de sirènes et de monstres.
A travers Jean-Damien BARBIN, le public découvre un Ulysse vagabond, à plusieurs facettes, troublant et profondément émouvant, qui a pour espace inouï un désir insatiable d’aventures, qui reste et demeure un frondeur dans l’âme en quête d’humanité.
Ulysse, une force de la nature, nous serions enclins à le croire, en tout cas une force vivante de la poésie sous les auspices de son interprète et de la compagnie BROZZONI qui nous permet de l’ouïr comme si nous étions les premiers à l’entendre, il y a déjà 3000 ans !
Paris, le 15 Décembre 2017
mise à jour le 4 Janvier 2018
Evelyne Trân