Nous nous souvenions de la présence époustouflante de Simone SIGNORET qui crevait l’écran à la télévision. La Voix humaine » de Jean Cocteau faisait penser à un sketch délirant et le personnage invisible au bout du fil d’un téléphone brandi comme un hochet semblait noyé sous les apostrophes de Simone SIGNORET.
La mise en scène de Charles GONZALES est beaucoup plus intérieure. Elle offre au silence sa dimension onirique et le visage de l’interprète Yannick ROCHER est très souvent plongé dans l’ombre. C’est la nuit en quelque sorte, la nuit devenue gouffre, scrutée par deux yeux blafards.
Le personnage appelle un amant dont elle vient de se séparer dans l’espoir inouï de l’atteindre, le toucher, et l’enfouir au fond d’elle-même. C’est un peu la version féminine du « Ne me quitte pas » de Jacques BREL.
Le téléphone est un instrument magique. C’est devenu un objet banal mais dans la réalité, la matérielle, il devient ce seul objet qui puisse s’interposer entres les désirs de l’appelant et du récepteur.
Le désir dans sa force primitive, voire même animale est renvoyé à l’aléatoire, au bouclier du silence qui peut avoir une cause matérielle, mais également une raison mortelle, puisque l’appelé a le choix de ne pas répondre et ce silence-là, est un signe de mort.
C’est parce qu’elle se heurte à ce silence que la femme amoureuse tambourine désespérément à la porte de son amant. Elle voudrait combler ce silence par ses exhortations, ses cris, ses larmes, ses pauvres mots qui résonnent dans le vide.
Nous avons oublié qu’au téléphone, se sacré objet de toutes les amoureuses, la représentation de l’être aimé s’enrichit de façon incroyable, l’être aimé parce qu’il est invisible se déploie dans un espace fantastique, celui de la distance matérielle, inconnue, celui des rêves et des souvenirs. Dans cet espace, la femme a l’opportunité de recréer un territoire qui n’appartient qu’à elle seule, le bout du fil devient le bout du monde, celui de son amour.
Dans la Voix humaine, la femme ne parle véritablement qu’à elle-même, un peu comme la religieuse portugaise dans les lettres portugaises de Gabriel de GUILLERAGUES.
Yannick ROCHER, intense, interprète une femme rentrée à l’intérieur d’elle-même, emmurée par sa douleur. C’est cette douleur terrible mais vivante qui devient son territoire et la braise d’un amour qu’elle refuse d’enterrer et qui probablement va la consumer.
Dans le fond, la Voix humaine de Jean Cocteau s’adresse à la mort, elle est humaine parce qu’elle se heurte au silence imparable de la mort qui s’étend à l’infini.
Charles GONZALES signe une belle mise en scène avec de surprenants clins d’œil à l’onirisme et l’éclectisme de Jean COCTEAU, quelques apparitions sonores ou visuelles, notamment celle de Monique DORSAL la grande comédienne belge, la voix de Charles DUMONT, et celle de Berthe BOVY la première interprète de la pièce en 1930 à la Comédie Française.
Dans ce joli écrin du théâtre de la Contrescarpe, nous avons retrouvé l’esprit de Jean COCTEAU.
La Voix humaine à travers le regard de Charles GONZALES devient le corps instrumental d’une rhapsodie, une douleur qui chante à tue-tête et nous rappelle Orphée.
Paris, le 26 Novembre 2017
Evelyne Trân
Merci chère Evelyne Tran pour ce article que j’aime beaucoup. Nous n’étions pas au courant de sa parution, sinon je me serais manifesté à vous pour vous remercier. Vous avez parfaitement compris mon travail et l’avez très bien relaté! Encore un grand merci!
A bientôt,
Charles Gonzalès
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