Avec : Jean Alibert Pierre Baux Karin Palmieri Helene Theunissen
Scénographie : Angeline Croissant
Lumière : Jean-Pascal Pracht
Son : Marc Bretonniére
Costumes : Sophie Schaal
Coiffures et maquillages : Catherine Nicolas
Régie générale / Peintre décorateur / Accessoires : Ladislas Rouge
Assistante mise en scène : Karin Palmieri
Responsable de production : Romain Picolet
Chargée de production : Julie R’Bibo
Construction du décor : Atelier Millefeuilles / Margot Ducatez / Ladislas Rouge
Ils donnent l’impression d’être deux rats en cage qui tournent en rond. L’air est infesté, empoisonné parce que c’est le même depuis de longues années. Ajoutez un autre animal dans cette cage, vous pouvez imaginer facilement que les deux premiers rats vont se liguer contre le troisième et le dévorer.
Ce n’est pas exactement ce qui se passe dans cette pièce, la danse de mort de STRINDBERG, qui constitue une lugubre symphonie à partir du motif de l’enfer conjugal exploré sans aménité avec une lucidité quasi luciférienne.
Les deux personnages, Edgar, le mari, un vieux capitaine et la femme Alice, une ancienne actrice, se connaissent par coeur, ils sont capables de lire chacun dans la partition de l’autre, comme dans une partie d’échecs mais hors du jeu, il n’y a rien, juste le le néant…
Alors, il faut répéter la partie, au jour le jour, guetter l’avancement du pion qui pourra mettre fin à cette affreuse répétition, penser à la mort comme à une possible libération.
C’est en se devinant l’un l’autre, que le mari et la femme expriment une insigne lueur d’amour . Cette lueur a beau être crépusculaire, elle déborde de leurs silhouettes, elle entache leurs gestes et toutes les démonstrations de méchanceté qu’ils vont prendre plaisir à déployer face à un visiteur inespéré, Kurt un viel ami, témoin horrifié de leur danse de mort.
La vie n’est-elle qu’un jeu ? Face à la perversité du couple, Kurt se retrouve dans la position de la mouche prisonnière d’une toile d »araignée. Parce que lui, il ne joue pas, il n’ a pas de partenaire, son rayonnement n’appartient qu’à lui seul, et c’est un rayonnement impuissant, sans consistance. Comment l’honneteté pourrait t-elle avoir une prise sur les esprits roués d’Alice et du Capitaine ?
Strindberg dans ce huis clos pathétique engage une sorte de débat philosophique sur le Bien et le Mal, faisant du mal la pièce maitresse de la partie, l’élément moteur constitutif de la vitalité du couple.
Sans la lucidité du capitaine capable de discerner la bonté de Kurt, nous croirions avoir affaire à des monstres. Le couple représenté par Strindberg reflète une image monstrueuse mais il est indéniablement soudé, scotché par les souvenirs, la chair, la même violence animale.
La vieillesse, le pain de vie qui s’effrite, cette réalité, le couple n’a pas besoin de la regarder en face, le chiffon est usé mais tels des animaux domestiques, ils aiment se dresser sur leurs pattes, fanfaronner pour la galerie et un ultime spectateur Kurt . Il réclamerait même des applaudissements, Alice n’est-elle pas une ancienne actrice ?
La mise en scène de Stuart SEIDE dépouillée, sobre donne toute latitude aux comédiens d’occuper en quelque sorte la scène comme seuls éléments du décor. Le lieu de vie interpelle par son austérité, juste les meubles élémentaires et un télégraphe dans un recoin, aucun bibelot, ni même de livres.
Le résultat spectaculaire qu’il faut faire rimer avec crépusculaire offre une vision ironique de ce couple qui semble jouir en se faisant mal. Alice et le capitaine ne sont pas des personnages tristes, il séduisent par leur méchanceté même. Mais les deux monstres ne peuvent être réduits à l’étiquette d’êtres malfaisants. Ils doivent faire pitié pour émouvoir. Le projecteur du metteur en scène est particulièrement tendu vers le personnage de Kurt terriblement déchiré et formidablement interprété par Pierre BAUX. Jean ALIBERT qui compose un capitaine grotesquement humain et Hélène THEUNISSEN qui ne cherche pas à rendre sympathique le personnage d’Alice, impriment cette présence du mal, son côté extérieur qui pousserait n’importe qui à s’enfuir comme Kurt.
Si le mal fortifie à ce point, tel un poing dressé contre la mort, toutes les ombres qui strient ce pauvre geste, font bien partie de notre comédie humaine. Le regard du metteur en scène justement éclaire ces ombres, il ne s’apitoie pas, il laisse courir, comme au jeu de billard, la balle avant qu’elle ne s’enfouisse dans le trou. C’est fascinant !
Paris, le 9 Octobre 2017 Evelyne Trân