Texte Samuel Beckett
Texte publié aux Éditions de Minuit
Mise en scène Jacques Osinski
Avec Denis Lavant
Denis LAVANT était l’invité de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur Radio Libertaire 89.4, en 2ème partie, le Samedi 3 Juin 2017
Les mots pourraient-ils vous clouer au sol ? Symbiose mots/corps.
Foutue manne cérébrale ! Evidemment, il y a cette effervescence mentale qui s’empare du langage avec ce désir toujours, plus dévorant de comprendre, expliquer, donner un sens à toutes choses…
Si l’on ne saisit pas que les mots peuvent vous poursuivre comme du bruit vidé de son sens immédiat, sucré, malléable, jouissif, le pourquoi de l’épreuve que s’inflige un homme assigné à résidence par les mots qu’il prononce va nous paraître vain.
Mais imaginons que ce pourquoi soit juste la réponse d’un homme qui vient d’être pincé, bousculé, touché au collet par un flic ou bien la parole d’un enfant, la fiente d’un pigeon sur son chapeau, le « qu’est ce que c’est que ça » d’un quidam furieux d’avoir été dérangé sur son passage par votre présence importune dans un couloir de métro « Poussez-vous, laissez-moi passer, connard ! » Et voici le connard poussé dans le vide, le néant tandis que vous poursuivez votre route car après tout vous pouvez jouer les 2 rôles, celui de l’homme pressé et celui qui vous barre la route.
L’homme de Cap au pire met au pas les mots qui le pressent d’aller on ne sait où sinon vers un néant insubmersible. Stop là ! Ecoutez le ce stop là ! Mémorisez le, répétez le, essayez de découvrir qui a prononcé cette parole ! Mais, il y a encore pire, il y a le « Ferme ta gueule » . C’est vulgaire et alors, mais quand ça passe le mur du son, soudain c’est ras de marée.
L’homme de Cap au pire va jusqu’à dire ce qu’il peut dire et pas davantage sur un rebord de fenêtre. L’espace s’est concentré qui va du corps aux mots et vice et versa, d’où l’apparente immobilité du locuteur.
« D’abord le corps » dit il non pas pour signifier un corps particulier mais le creuset, l’enveloppe, l’habitacle, corps cosmique vaisseau qui se déplace dans l’invisible ou bien l’obscurité.
L’homme qui parle manie bien les mots comme des outils qui sont là pour décrire ses tâtonnements d’homme aveugle ou invisible. Curieux voyage ! L’homme qui s’achemine vers une faible lueur, peut-il imaginer qu’il y aurait une lumière inatteignable qui tournerait à vide, en tout cas pour lui ? Peut-il ralentir sa course et imaginer faire coïncider ce qu’il y a de plus mince, de plus concret avec le virtuel ?
Les mots qu’il prononce repoussent le vide, permettent d’imaginer les suintements de cette grotte préhistorique qui a accouché de notre langage familier ou autre. Les mots qui peuvent résonner aussi bien dans la foule que dans le désert deviennent témoins de nos errements, agitations et vaines émotions.
Stalagmites de mots, de mémoire d’homme passé et à venir !
Denis LAVANT incarne cet homme préhistorique qui hante nos cavernes. Donner du corps aux mots même dans la pénombre, comme c’est bizarre, suffit à jalonner nos silences qui crient peut-être sous le poids des mots. Forge d’écrivain, forge pour son magnifique interprète, la feuille de route de Cap au pire ardue et pointilleuse n’en est pas moins captivante !
Paris, le 22 Juillet 2017 Evelyne Trân