Mise en scène : Simon Vincent
Avec : Damien Houssier
C’est un principe au festival des caves, ne jamais divulguer avant la représentation, le lieu-dit du spectacle. Nous nous sommes donc acheminés une quinzaine de de personnes, des Mortuaciens et des Mortuaciennes, ce Vendredi 16 Juin 2017, vers ce lieu inconnu, une cave bien entendu.
La cave en question, située sous le château de Pertusier qui abrite le Musée de l’horlogerie très impressionnant de MORTEAU, était elle même très étonnée, de recevoir tant de visiteurs et pour l’espace d’une soirée offrir son espace plus assimilable à celui d’un cachot de prisonniers de la Renaissance qu’à une salle de spectacle.
Ce que les pierres soupirent, nous ne l’entendons pas mais nous pouvons volontiers imaginer vu que la nature n’aime pas le vide, que quelques fantômes, quelques âmes voyageuses viennent se réfugier dans cette cave pour comploter pour ou contre les vivants.
A vrai dire, nous pensons que le metteur en scène Simon VINCENT et le comédien Damien HOUSSIER ont trouvé le lieu idéal susceptible d’accueillir Daniel Paul SCHREBER, un haut magistrat allemand du 19ème siècle, auteur des Mémoires d’un névropathe, dont les délires furent l’objet d’étude privilégié de Freud et surtout de Lacan.
Le livre comporte près de 400 pages. Il n’était donc pas possible de l’adapter théâtralement littéralement. La fascination qu’a exercé sur Simon VINCENT la lecture de ce monumental témoignage d’un homme utilisant comme outil d’ introspection ses délires ou ses visions – qu’il refuse d’appeler hallucinations – lui a permis d’en extraire la substantifique moelle extrêmement prégnante.
Le metteur en scène ne pose par un regard clinique sur Daniel Paul SCHREBER, il se contente et c’est déjà énorme, d’explorer la théâtralité du personnage qu’est devenu pour lui même Daniel Paul SCHREBER à partir du moment où abandonnant son habit de magistrat, il a voulu assumer l’homme et ses délires, seul contre tous, avec unique interlocuteur le psychiatre le docteur Flechsig.
Voulu est sans doute est un bien grand mot. Disons qu’il s’agit de la force de l’inconscient qui a fait basculer Daniel Paul SCHREBER dans la « folie ».
Daniel Paul SCHREBER croyait qu’il était harcelé, jour et nuit, par des petites créatures émanant de rayons envoyés par Dieu, qui travaillaient à le transformer en femme.
Ce genre d’élucubration peut faire sourire, elle n’en est pas moins éloquente. En tout cas elle questionne les demeurés que nous sommes qui par manque d’imagination, par frilosité, restons limités aux choses terrestres, au pragmatisme ambiant qui se transforme en habitudes, de sorte que l’extraordinaire se doit de plus en plus de renchérir pour atteindre nos régions affectives.
Daniel Paul SCHREBER est poignant dans sa recherche de vérité »interne ». En tout cas c’est ce que nous fait ressentir l’interprète Damien HOUSSIER qui avec beaucoup d’intelligence, rend palpable son délire.
L’artiste s’est familiarisé avec tous les recoins de la cave qui lui était inconnue deux heures auparavant, il est quasiment nu, c’est son corps, sa chair qui expriment fébrilement son rapport aux choses, aux éléments, aux êtes invisibles qu’il est possible d’imaginer se réveiller au fur et mesure du délire de l’homme malade de ses nerfs.
Ce fou tout de même est étrangement humain, si humain que nous finissons par nous demander si sa forme de folie n’a pas été engendrée par notre sinistre réalité, d’où la nécessité d’imaginer autre chose, quitte à emprunter le chemin du délire….
D’un point de vue de l’imagination, Daniel Paul SCHREBER n’ a d’ailleurs rien à envier aux auteurs de science fiction.
Voilà un spectacle très enrichissant que nous recommandons aussi bien aux psychiatres qu’aux spectateurs néophytes.
Daniel Paul SCHREBER, incarné par Damien HOUSSIER, excellent et nous pesons nos mots, suscite notre entière empathie, voire notre reconnaissance d’avoir pu, l’espace d’une représentation, entrer dans l’intimité de sa folie.
Paris, le 18 Juin 2017 Évelyne Trân