Une véritable gageure que celle de monter Les Misérables au théâtre, cet imposant roman de plus d’un millier de pages !
L’œuvre a frappé les esprits jusque dans les colonies françaises. Au Vietnam, par exemple, la religion caodaïste vénère l’écrivain comme un Dieu tant il est vrai que la misère est un thème universel.
L’écolier qui a appris à lire en se penchant sur une version édulcorée d’un épisode du roman témoignera des longues heures où son regard restait fixé sur la main de Jean Valjean soulevant le seau de Cosette, laissant ensuite papillonner son attention sur le texte.
Quant à la collégienne qui tenta en vain de rédiger une présentation de l’oeuvre gardera le souvenir cuisant du jugement du professeur « Artificiel, Mademoiselle ! ».
Ni l’écolier, ni la collégienne n’avaient lu dans son intégralité l’oeuvre et pourtant ils croyaient la connaitre, les personnages de Cosette et de Jean Valjean, ils les entendaient au plus profond d’eux mêmes. A 7 ou 14 ans, l’injustice, la misère, le désespoir pouvaient résonner dans leurs jeunes consciences. Quand il faut parfois des kilomètres de phrases, de pensées pour atteindre une vérité, c’est à dire quelque chose qui impressionne aussi bien l’âme que le corps, il suffit d’une vision, d’une apparition pour troubler l’esprit.
Rendez-vous compte, les héros du roman sont vraiment des Misérables, ils s’appellent Jean Valjean, Cosette, Madame Thénardier et il est toujours possible de s’y identifier . Mais ils sont plus que misérables, ils ont du caractère !
La mise en scène de Manon MONTEL est essentiellement illustrative, elle gravite autour des personnages comme si elle était en train de les peindre au pinceau, chacun est porteur de son histoire, chacun doit affronter un autre avec ses propres secrets dont seuls les spectateurs ont la teneur.
Les tableaux d’une véritable beauté (Il faut saluer les costumières) palpitent sous une lumière très maîtrisée mais les personnages transpirent néanmoins jusqu’au bout.
Note surprise, dans cette version des Misérables, une Thénardier, âme damnée du roman qui joue de l’accordéon et tient lieu de narratrice. Sa vivacité fait avancer chacun des tableaux chargés de concentrer en un heure et demie ce roman prodigieux.
Tout public, le spectacle servi par d’excellents comédiens devrait impressionner particulièrement les jeunes spectateurs. Mais les adultes aussi réentendront l’histoire avec plaisir. Et puis, ils iront se replonger dans le texte gorgé de pépites. Manon MONTEL nous tend une perche, c’est sûr, il faut relire les scènes les plus sublimes, la mort de Fantine, la rencontre de Valjean avec le petit savoyard et bien d’autres, elles sont irésumables !
Paris, le 8 Avril 2017 Evelyne Trân