Avec : Cédric Colas, Stéphane Fiévet, Frédérique Lazarini, Marc Schapira
Bruno Andrieux (Assistant(e) à la mise en scène) , Dominique Bourde (Création costumes) , François Cabanat (Décors)
Vàclav HAVEL est à la fois connu comme homme politique – il devint Président de la République tchèque et slovaque lors de la révolution de velours en 1989, puis de la nouvelle République tchèque indépendante, après de longues années de lutte contre le régime communiste, sous la tutelle de l’U.R.S.S. – et comme dramaturge.
Les pièces que met en scène Anne-Marie LAZARINI donnent le ton de l’ambiance délétère qui régnait en Tchécoslovaquie lorsque Vàclav HAVEL écrivain, homme de théâtre, réputé dissident au régime, travaillait comme manœuvre dans une brasserie en 1974.
Ces pièces ont l’intérêt majeur de donner la parole à ceux-là mêmes qui jouaient le jeu avec le régime autoritaire, au quotidien. Quant au héros, l’écrivain devenu ouvrier qui se retrouve dans la situation de la brebis galeuse, du dissident, c’est le double de Vàclav HAVEL lui-même.
Le rapport de force qui s’instaure entre le dissident et les autres personnages est particulièrement, inquiétant, oppressant. Réduit la plupart du temps au silence, le héros n’éprouve pas un malin plaisir à voir ses interlocuteurs – dans « Audience », le patron de la brasserie, et dans « Vernissage » un couple de bourgeois, ridicules – s’enfoncer dans leurs propres délires. Le délire du patron, c’est de croire pouvoir obliger son employé à se dénoncer lui-même, celui du couple pédant, de séduire leur ami avec tout son faste de vanités.
S’il y a délire, c’est qu’il y a fièvre, c’est que la société est malade. Constat pessimiste qui renforce la volonté de résistance du dissident qui tout en gardant son sang-froid, prend acte de la vaine agitation de ses concitoyens, et prête l’oreille à leurs états d’âme. Quand le théâtre sert la politique ou inversement ! Est-il possible de renverser la vapeur, d’imaginer que l’énergie de ces citoyens, leurs aspirations au bien-être, rejoignent la voie de la lutte pour la liberté plutôt que celle de la résignation. En un sens, les personnages que met en scène Vàclav HAVEL, ne vivent pas, ils survivent, ils font semblant de vivre. Il faut les entendre hurler leur mal de vivre : le patron alcoolique, enragé contre l’intellectuel, qui finit par lâcher : « Je suis le con qui prend des coups de pieds au cul pour défendre vos principes. Personne n’a peur de moi. Je n’intéresse personne. Qu’est-ce que la vie me donne à moi ! », Le bourgeois qui susurre à l’oreille de son ami mal à l’aise « De nos jours, c’est chacun pour soi, tu le sais bien » et sa bourgeoise qui pique une crise de nerfs pathétique parce qu’elle a compris que l’étalage de son bonheur artificiel faisait fuir l’ami.
Grâce à la mise en scène astucieuse et percutante d’Anne-Marie LAZARINI, les spectateurs se trouvent de plain-pied avec les protagonistes, dans la première pièce « Audience » face au bureau piteux de la brasserie et dans la 2ème « Vernissage » dans l’appartement où ils sont invités à se déplacer.
Les interprètes sont excellents notamment Stéphane FIEVET qui incarne de façon saisissante ce patron haut en couleur et pitoyable que doit affronter le pauvre dissident.
Vraiment un bon moment de théâtre cinglant, avec des personnages si vivants, par leur crudité insolente, leur humanité tapageuse qu’ils ne peuvent qu’éclabousser les spectateurs, les faire réagir. C’est tout de même le but de Vàclav HAVEL, qui manie lestement les armes de l’humour et de la dérision. Quand le théâtre vous réconcilie avec la politique !
Paris, le 26 Décembre 2016 Evelyne Trân