avec :

William Shakespeare / John Dowland
Mise en scene Louise Moaty
Conception musicale Thomas Dunford
avec :
Louise Moaty comedienne
Maison de la Culture
Amiens le 3 decembre 2016
© Pascal Gly
Louise Moaty comédienne
Thomas Dunford / Romain Falik luth
Scénographie
Louise Moaty & Christophe Naillet
Traduction
Louise Moaty & Raphaël Meltz
Regard sur la mise en scène
Geoffroy Carey
Accompagnement vocal
Claire Lefilliâtre
Costumes
Julia Brochier
Création lumière
Christophe Naillet
L’homme Shakespeare, semble t-il, s’est toujours effacé devant ses œuvres théâtrales. Il nous est impossible de saisir son visage. L’imagination doit l’emporter, guidée par toute cette constellation de personnages, Hamlet, Prosper, Caliban , Othello, Macbeth, parmi les plus célèbres hantés par la violence des passions, leurs vanités, leur bouillonnante exclamation !
Les sonnets, au nombre de 154, publiés en 1609 – quelques années avant la mort de Shakespeare – ouvrent une fenêtre sur l’intimité du dramaturge.Il faut les comprendre essentiellement comme des billets du cœur, si bien voués à séduire un destinataire mystérieux, qu’ils ne doivent pas crier, hausser le ton, seulement suggérer la délicatesse, l’éternité ou la plénitude des sentiments. Il y a toute une tradition des sonnets depuis Pétrarque. Ils étaient très en vogue en Italie et Shakespeare s’en est inspiré. Mais au-delà de la forme, ce qui frappe d’emblée, c’est cette pensée lucide persistante qui troue le nuage de la forme et qui reste toujours en suspension, telle la respiration muette d’une fleur par exemple juste au moment où l’on vient de la regarder.
Les sonnets font partie de ces murmures, qui se raccrochent aux branches dans l’obscurité pour tout randonneur soudain rendu à une sorte de fête du silence. D’autres chemins s’ouvrent où il est possible d’installer quelques vertiges de l’âme, voir dans un rêve une fleur qui saigne, contempler à l’infini un visage adulé.
La metteure en scène et interprète, Louise MOATY a bien saisi le caractère subversif des sonnets de ce Shakespeare là d’aujourd’hui, si contemplatif. Son attention s’est cristallisée sur 17 sonnets (remarquablement traduits) auxquels elle donne la couleur de la nuit; elle s’en empare de façon très personnelle dans un élan passionné, devenant sur scène, en quelques sorte, la destinataire de ces sonnets d’amour.
Car il faut bien l’incarner ce destinataire mystérieux, l’inspirateur desdits sonnets. Se retrouver fleur parmi les fleurs c’est ce que propose Louise MOATY qui s’abandonne sur un tertre au milieu des sonnets fleurs où la terre retournée parle le langage d’une éternité retrouvée (Rimbaud déjà là!) . Après tout n’y a t-il pas en français le mot terre dans éternité.
C’est la musique de Dowland, un musicien contemporain de Shakespeare qui accompagne l’incantation de ces poèmes. Elle est interprétée joliment au luth par Romain Falik, fervent complice de Louise MOATY et de Thomas DUNFORD, le concepteur musical.
Il y a dans l’incantation de Louise MOATY quelque jolies déchirures qui perdurent dans l’oreille bien après le spectacle. Ces petites épines de roses qui ne demandent qu’à faire saigner toujours davantage notre carapace, permettent de dépasser l’aspect suranné des sonnets. Mais les fleurs qui inspiraient Shakespeare, il y a 4 siècles sont toujours les mêmes, faut-il que nous l’ayons oublié. La question est toujours de toucher le cœur d’une personne aimée et éloignée. Le thème est universel mais ces sonnets échappent à la mièvrerie grâce à la force des images de l’auteur, par la spontanéité aussi de ses réflexions :
Pourquoi aimes tu ce qui te rend malheureux.
Ou alors : qu’est ce qui te rend heureux dans le mal ?
A mon sens, le véritable destinataire de ces sonnets se retourne toujours dans sa tombe. Ou bien est-il tout simplement parmi nous pour répondre au vœu de Shakespeare :
Mes mots ont ce pouvoir : te faire vivre à jamais.
Par le souffle d’un souffle qui parle.
C’est ce que nous suggère le spectacle de Louise MOATY avec grâce et subtile candeur.
Paris, le 23 Décembre 2016 Évelyne Trân