Avec : Ariane Berendt, Marie Brugière, Tristan Cottin, Michel Didym, Luc-Antoine Diquéro, Léo Grange, Léonie Kerckaert, Amaranta Asiri Kun, Héloïse Lecointre, Jimmy Marais, Lorenzo Nieddu, Marion Pastor, Gabriel Rouvière, Chloé Sarrat, Alexandre Servage
On les voit tournicoter tout autour de cette grande sphère humaine, la terre, ils s’appellent, ils ne s’appellent pas, ils croient se rencontrer, ils se séparent, on leur a parlé de voyages qu’ils soient vendeur nigérien de gadgets dans les bars, petites employées avec leurs sacs de pacotilles rêvant de partir à Londres, coopérant au Pakistan, touristes à Hiroshima, perdus sous la neige à Budapest, esseulés sur une place déserte à Mantes la Jolie avec les mômes, en transit dans un aéroport à Dubaï, en proie à l’épouvante dans une chambre d’hôtel sans âme, tous s’affairent comme d’incroyables clignotants humains aimantés par la même soif d’amour, la même envie de l’éprouver brûlante la vie, de l’entendre palpiter dans le regard d’un autre, ultime étranger, qu’il soit amant, compagne du moment, amour fugitif et impossible, incontournable visage de l’autre, partout, partout, partout.
Nous ne sommes que de passage disent certains philosophes. Mais tout de même c’est un drôle de passage ironise Armando LLAMAS qui se traitant lui même d’étranger, du coup, aurait bien pu se déclarer frère de tous les étrangers du monde.
Né en Espagne en 195O, il a émigré avec sa famille en Argentine dès le plus jeune âge . Là bas, il pratique le journalisme, la peinture, le théâtre, il écrit des chansons notamment pour les Rita MITSOuko . Arrivé en France en 1973, il travaille essentiellement pour le théâtre en tant qu’administrateur du Théâtre de l’Athénée et en tant que dramaturge de Claude Régy. Sa vie fut courte – il est mort à 53 ans – mais particulièrement dense.
La pièce « Meurtres de la princesse juive » qu’il appelait l’Arlésienne parce qu’il mit six ans à l’écrire, reflète cette densité. IL fallait qu’il écrive, qu’il témoigne d’une fièvre qui lui était propre qui lui permettait d’être toujours dehors à l’écoute des autres, la plupart du temps des anonymes, d’user de sa gueule de « métèque » comme caisse de résonance.
Il y a du corps à corps, du vécu dans toutes les situations qu’il met en scène où s’entrecroisent se mêlent les destins d’hommes et de femmes, tous différents, tous familiers.Chacun a son propre langage, cru, vulgaire, lyrique, décousu ou poétique. Mais tous ces langages se côtoient, s’interpellent, ils peuvent surprendre ou déranger comme dans la vie lorsque nous sommes témoins silencieux d’échanges qui peuvent être très vifs entre des voyageurs qui ne se connaissent pas mais qui voyagent dans le même bus, en se cognant ou en se serrant les coudes. Et puis tout à coup dans le même bus, on peut être amené à rencontrer une personne perdue de vue depuis 10 ans, la vie quoi !
Armando LLAMAS ne prend pas le pouls du phénomène de la mondialisation de façon abstraite.Il augure, il entrevoit son aspect positif, celui de faire prendre conscience à l’individu retranché dans son identité nationale, raciale, sexuelle etc qu’il est aussi un être parmi les êtres et que le monde ne se résume pas à une carte géographique. Le monde n’est pas une abstraction, il a plusieurs peaux, plusieurs territoires mais dans le fond qui déniera à un arbre d’être un arbre, au soleil d’être le soleil qu’il soit regardé au Pakistan à Hiroshima ou à Mantes la Jolie. Ne pourrait pas t-on pas en dire autant de l’homme qui reste un homme où qu’il aille, où qu’il se trouve.
Michel DIDYM reprend avec bonheur le flambeau que lui a pour ainsi dire légué son ami Armando LLAMAS, avec une mise en scène très efficace; les décors constitués de panneaux glissants se transforment comme par magie. Vous vous croyez dans un aéroport, vous vous trouvez dans un café etc… C’est toujours très rapide mais le spectateur ne perd pas le fil grâce certainement à l’énergie, la vitalité des jeunes comédiens de l’ENSATT, émulés par la présence sur scène de Luc-Antoine DIQUERO ou de Michel DIDYM. Ils endossent tous plusieurs rôles avec, on le sent, une vraie gourmandise, un plaisir communicatif.
On entend dans cette pièce des éclairs de pensées si spontanés que l’on sait bien que l’auteur ne les a pas repiqués dans des livres, ils découlent de ce qu’il a entendu, frôlé, repêché dans la vie même, ils appartiennent aussi à des personnes que nous pourrions rencontrer dans des terrasses de cafés, à l’aéroport, dans la rue, des gens de passage comme nous avec qui nous partageons le même air, les mêmes courants d’air terrestre, espérances ou espoirs déçus, au théâtre !
Paris, le 13 Novembre 2016 Evelyne Trân