La question de se demander qui tire les rênes de notre destinée est récurrente. Il y a tellement de maillons possibles et inimaginables que franchement il est difficile de s’y retrouver. Sommes nous des marionnettes qu’un démiurge impossible agiterait pour son bon plaisir ? Pirandello n’a cessé de s’interroger à ce sujet lorsqu’un jour des personnages de ses pièces lui apparurent en rêve le sommer de leur donner une réalité. Ainsi ces propres personnages qu’il croyait avoir créé de toutes pièces lui demandaient des comptes.
Fabio ALESSANDRINI reprend ce thème en confrontant un auteur et un héros de son roman, un médecin humanitaire. L’intérêt de cette confrontation est d’exposer combien la réalité et la fiction se trouvent entremêlées, sujettes à nos multiples interprétations, à notre bon vouloir en quelque sorte toujours ambivalent. Un écrivain serait un animal qui digère à sa façon des évènements réels, par l’entremise de son imagination. S’il en était autrement, il ne serait plus qu’un historien documentaliste. Sans effets, sans rebondissements, pas de roman, la réalité la plus crue n’intéresse personne. Nous sommes tous fourbus d’imaginaire, c’est ce que tentait d’exprimer le professeur Henri Laborit dans le film Mon oncle d’Amérique que lui consacrait Alain RESNAIS, où se trouvent mêlés les vécus d’individus dont le point commun est de se référer à des vedettes de cinéma, figures du surmoi, à chaque étape cruciale de leur vie. Processus inconscient bien sûr mais une fois de plus bien réel. Impossible de venir à bout d’une réalité qui vous échappe – et donc de dominer sa destinée – surtout lorsque cette réalité se trouve être le héros de votre roman. C’est lorsqu’il se trouve à bout de souffle de son inspiration que l’écrivain voit débouler son héros qui conteste le traitement qui lui est infligé .
Nous ne voyons dans le miroir que nous offre l’autre que ce nous voulons ou pouvons bien voir. Miroir à multiples lorgnettes à travers lequel fusent des myriades d’informations qui tirent à bout portant sur notre cerveau fragile.
Il faut être blessé par un éclat du miroir sans doute pour saisir cette fragilité. Fragilité perceptible dans les échanges entre cet écrivain et son héros qui interpellent notre perception du monde .
Nous voudrions bien la cerner cette réalité afin de supprimer ses effets les plus désastreux, et un écrivain sait bien qu’il ne peut en délimiter que quelque bout. Au moins est-il guidé par des personnages bien réels ?
Un huis clos qui donne le vertige, rudement bien mené comme une sorte de thriller fantastique, interprété de façon percutante par Fabio ALESSANDRINI, l’auteur qui sort de ses gonds et Yann COLLETTE dans le rôle d’un personnage trop humain pour être un héros.
Paris, le 1er Novembre 2016 Evelyne Trân