- Interprète(s) : Emmanuelle Rozès, Bénédicte Jacquard
- Metteur en scène : Claude Bonin
Une tranche d’humanité au comptoir d’une vie quotidienne écorchée au fil du rasoir par quelques évènements croustillants qui relèvent sa sourde pesanteur.
Les têtes de Miss FOZZARD et de Mrs HORROCK ont tout d’abord surgi sur l’écran télévisuel de la BBC pour raconter quelques épisodes de leur vie, pour respirer, pour sortir de leur trou, émettre leurs vérités, quelques confidences inouïes.
Alan BENNETT est un véritable portraitiste, il agit comme un peintre sauf qu’au lieu d’utiliser un pinceau, il utilise le verbe, le verbiage de personnes qu’il laisse s’étendre sur sa toile. Les états d’âme de Miss FOZZARD et de Mrs HORROCK ont la consistance de ces multiples grumeaux, sensibles au toucher mais invisibles à l’œil nu, qui font transpirer la toile, leurs pâles destins hors des murs.
Sur le chevalet de leur vie, les événements passent et ne s’accrochent pas, Miss FOZZARD et Mrs HORROCK sont des petites Madame BOVARY qui s’ignorent. Elles n’ont pas vraiment l’impression d’exister, elles vivent par procuration, l’une pour son frère handicapé, l’autre avec son mari qui semble l’ignorer.
Mais voilà que quelques fientes tombent sur la toile. Fientes magiques à coup sûr, la rencontre avec un pédicure libidineux pour Miss FROZZARD, la rencontre avec une voisine meurtrière d’un mari bourreau sexuel, pour Mrs HORROCK.
Miss FOZZARD et Mrs HORROCK n’ont pas besoin de se poser des questions. Elles ont besoin de vivre tout simplement. Dès lors qu’importe que sa voisine soit une meurtrière pour Mrs HORROCK qui en fait son unique amie. Qu’importe l’étrange comportement du pédicure puisqu’il divertit de son sombre quotidien Miss FOZZARD.
Chacune a son jardin intime, l ‘amour des chaussures pour l’une, l’amour des jardins pour l’autre. Chacune a son pigment capable de séduire des pigments autrement plus prononcés.
On se lèche bien souvent les babines aux récits de deux bonnes femmes, qui agitent leur bol de vivre avec simplicité. La vie est si brève qu’à courte paille, les deux dames passent à travers la lie pour en savourer la lumière.
Un escarpin géant qui a pourtant l’allure d’un toboggan dans un jardin d’enfant, c’est le décor, le nid de Miss FOZZARD, sa broche imaginaire, bouclier de son quotidien morose. Mrs HORROCK quant à elle, au fur et à mesure de son histoire, démonte comme dans un jeu de construction, les pans de murs recouverts de vigne vierge de son jardin.
La mise en scène de Claude BONIN ouvre un sorte de couloir intime au parloir de ces deux femmes, faisant résonner leurs similitudes leurs façons de braver leurs limites, leurs solitudes.
Au-delà du rire et des aspects picaresques des récits, l’ironie et la lucidité critique, Alan BENNETT s’attache à dérouler les ressorts les plus feutrés, les plus humains comme si en scrutant des visages ordinaires, il avait compris qu’il suffisait d’un rai de soleil pour les animer.
Emmanuelle ROZES, Miss FOZZARD et Bénédicte JACQUARD, Mrs HORROCK, vivent avec passion, leurs personnages qui éclaboussent les spectateurs sur l’eau dansante de leurs émois.
La mise en scène tout en finesse de Claude BONIN suit du regard l’œil malicieux et jubilatoire d’Alan BENNETT. Nous songeons en rougissant à cette citation d’Apollinaire : Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme ».
C’est dans ce verre d’humeur caustique et tendre que nous buvons pendant tout ce spectacle libérateur.
Nous saluons cette belle initiative tout à fait réussie de l’adaptateur Jean-Marie BESSET et du metteur en scène Claude BONIN de transposer théâtralement ces monologues d’Alan BENNETT, un auteur britannique contemporain particulièrement percutant, et tout de même, fils de boucher comme Pierre Dac…
Paris, le 28 Mars 2015
mis à jour le 9 Juillet 2016 Evelyne Trân