texte de Fabrice Melquiot
mise en scène Kheireddine Lardjam
collaboration artistique Estelle Gautier, lumière ManuCottin,son Pascal Brunot, musique création collective, dessinsJean-François Rossi, vidéo Thibaut Champagne et Kheireddine Lardjam
avec Larbi Bestam, Romaric Bourgeois, Sacha Carmen et Kheireddine Lardjam
Nous connaissons tous cette formule « Tisser des liens », elle résonne d’une façon un peu blafarde lorsqu’elle est utilisée par les États dans leurs relations diplomatiques, pour souligner leurs intérêts communs à coopérer. Mais que cette formule puisse être exprimée naturellement par les individus qui appartiennent à ces pays, c’est une autre histoire.
A l’échelle humaine, l’idée d’un pays, d’un continent et même de l’humanité, ne peut être que subjective. La carte de la France avec ses montagnes et ses jolis ruisseaux paraît immuable depuis des décennies et au début du vingtième siècle, tous les bons petits Français, croit-on, avaient les joues roses. Comment se fait-il qu’à l’aube du vingt et unième siècle, certains soient désormais bronzés, voire noirs et qu’il soit de plus en plus difficile aux enseignants de parler de nos ancêtres les gaulois sans faire ricaner une partie de la classe ? Il faudrait enseigner aux petits Français qu’en 1900 , la France ce n’était pas seulement ce petit quadrilatère niché dans l’Europe, c’était un grand empire colonial, le 2ème le plus vaste du monde derrière l’Empire Britannique, présente en Afrique, en Asie en Océanie…
D’un point de vue économique, La France a bien profité de ses colonies. On pourrait parler d’histoire ancienne puisque cet empire s’est dissous, que les pays colonisés ont retrouvé leur indépendance dont l’Algérie . Ceux qui ont vécu la guerre d’Algérie à vingt ans sont aujourd’hui octogénaires . N’est-il pas difficile pour leurs descendants de parler des liens qui se sont tissés entre l’Algérie et La France ? « Une chape de silence recouvre leur Histoire commune depuis la fin de la guerre d’Algérie » nous dit Kheireddine LARDJAM, comédien et metteur en scène. Il s’agit d’un véritable ressenti pour cet homme qui a pourtant l’habitude de circuler entre les deux pays depuis 15 ans. Pour l’exprimer il s’est adressé à un auteur dramatique de renom Fabrice MELQUIOT. C’est la bonne adresse, MELQUIOT est un écrivain sourcier, il fonctionne à l’intuition laquelle est absolument nécessaire lorsqu’il s’agit de faire remonter à la surface, les émotions d’un homme, d’un individu rattachées malgré lui à cette falaise de la Grande Histoire. La vérité c’est que la nature n’est pas figée, elle est toujours en mouvement, mais il n’est pas aisé de poser des mots sur des émotions emportées par le courant, notamment celui de la grande Histoire. Difficile de remuer les plaies, et justement de parler des atrocités commises par des Français pendant la guerre d’Algérie, sans jeter un froid.
Parfois la mémoire, la douleur c’est comme un pendule autour du cou, ça empêche de respirer. Top là ! s’est exclamé Fabrice, en lançant son pendule dans l’imaginaire de Kheireddine qui veut continuer à naviguer entre l’Algérie et La France de la façon la plus créative qui soit. Il le prouve avec sa mise en scène qui fait la part belle aux acteurs musiciens, Larbi BESTAM et Sacha CARMEN qui ont tous deux des voix magnifiques et Romaric BOURGEOIS, boute en train très éclectique qui danse comme s’il lui poussait des ailes.
Quant à Kheireddine, il joue son propre rôle de comédien, métis culturel, qui n’hésite pas à saisir la perche que lui tend Fabrice MELQUIOT, celle de revêtir l’habit d’un super-héros, Algéroman, alias Batman, (projeté également en bande dessinée sur un écran vidéo). Il y a toujours cette fantaisie qui éclabousse chez Fabrice MELQUIOT, qui retape l’estomac.
Il faut oser, oser, faire des déclarations d’amours à nos ennemis , nous disent encore malicieux Fabrice MELQUIOT ou Kheireddine LARDJAM. La fiction et la réalité confondues permettent de faire émerger cette Page en construction, qu’éclaire le regard généreux de toute l’équipe, généreux mais vigilant !
C’est le genre de spectacle dont on sort heureux, réchauffés, qui draine l’espoir, un beau message d’altérité !
Paris, le 15 Mai 2016 Évelyne Trân