TCHERNOBYL FOREVER D’après le Carnet de Voyage de Alain-Gilles Bastide Adaptation et mise en scène de Stéphanie Loïk du 26/04/2016 – 30/04/2016 – ANIS GRAS – LE LIEU DE L’AUTRE – 55 Avenue Laplace 91110 ARCUEIL –

TCHERNOBYL

Avec : Vladimir Barbera, Aurore James, Elsa Ritter, Lumières : Gérard Gillot Musique et chef de choeur : Jacques Labarrière, Chants russes : Véra Ermakova,Assistante à la mise en scène et régie son : Ariane Blaise Assistant Compagnie : Igor Oberg. Durée : 1h05.

Production : Théâtre du Labrador Coproduction : Anis Gras/Le lieu de l’autre – Tropiques Atrium, Scène nationale de la Martinique. Coréalisation : Anis Gras/Le lieu de l’autre.

Avec le soutien du fonds d’insertion professionnelle de l’Académie-ESPTL, DRAC et Région Limousin. Le Théâtre du Labrador est conventionné par la DRAC Ile-de-France.

L’enfer, le purgatoire, le paradis, toutes ces notions véhiculées par la bible pour décrire l’au delà après la mort des pécheurs, expriment en réalité les conditions de vie sur terre des hommes. Ces chères petites têtes blondes ou brunes couvées par le regard de leurs mères n’ont-elles pas l’air de venir directement du paradis, avec leurs faciès angéliques.

Vraisemblablement, l’humanité ne survivrait pas à l’enfer total. Parmi les témoignages des Tchernobyliens qui eux ont connu l’enfer, les récits des mères qui ont mis au monde des enfants « monstrueux » sont les plus poignants.

Croit-on que c’est pour le plaisir que les victimes de Tchernobyl témoignent de cette catastrophe. Il y a trente ans, le 26 Avril 1986 explosait le réacteur N°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl . En préliminaire à son carnet de voyage en enfer «  Tchernobyl for ever » Alain-Gilles Bastide écrit :

« La vieille expérience de l’homme, sa culture, sa philosophie, son système de représentation, tous ses sens ont été pris de court par Tchernobyl. Les conséquences moléculaires, physiques, psychiques , ont fait basculer l’humanité dans un autre monde, le monde ancien n’existait plus, nous étions devenus des Tchernobyliens » .

L’adaptatrice et metteure en scène de ce carnet de voyage, Stéphanie Loïc répond à cette nécessité de faire entendre les témoignages des Tchernobyliens. Il s’agit de voix nues qui énumèrent des faits, des statistiques, des chiffres, tout cela qui formule une réalité froide, indéniable et abstraite. Il est impossible d’enfermer des individus derrière des faits, des chiffres aussi éloquents et précis soient-ils. Mais ces repères délimitent un espace, ils créent déjà une frontière. Cela se passait en Biélorussie, un petit pays de 10 millions d’habitants, pas chez nous.

Ces voies nues pourtant ne vont pas se contenter de remplir une page d’histoire, une page oubliée, occultée, à la fois trop récente et déjà éloignée.Les politiques n’ont pas encore tiré les leçons des catastrophes de Tchernobyl et Fukushima, les centrales nucléaires tiennent bon.

Ces Tchernobyliens sont des survivants qui relèvent à bout de bras leurs vies dévastées, compromises, crispées par la douleur mais dignes. Parce que l’émotion, la souffrance est trop forte, il faut s’accrocher aux faits, à ses lambeaux, à ses déchirures qui laissent écarquillée la mémoire avant l’oubli. Il faut du courage pour ne pas oublier, beaucoup de courage. Mais les Tchernobyliens parlent pour leurs morts et les enfants à venir.

Sans esprit, il n’y a pas de matière, il n’y a même pas l’idée du sarcophage qui été bâti à la hâte pour enterrer le réacteur.

C’est au corps esprit que Stéphanie Loïk s’adresse pour tenter d’exprimer l’inexprimable. Les paroles rejoignent les gestes, ou ce sont les mains, les bras, qui recueillent ce qui découle de la bouche, de façon à faire circuler lentement la vie, le sang dans la conscience.

Des gestes simples comme des caresses, des souffles, qui engagent l’être à s’éprouver simplement humain, à se tâter, à se souvenir qu’après tout il n’est jamais qu’un humain, et que l’essentiel peut être dit, exprimé avec son corps.

Les interprètes enchaînent calmement, voire avec douceur les propos des Tchernobyliens . La scène est devenu un espace de recueillement, de méditation, pour les spectateurs.

Ici et là où sourdent la douleur, l’incompréhension, où la tentation du couvercle et de l’oubli est de mise, il faut entendre ces voix qui viennent de loin nous dire leur sentiment :

« Nous vivons dans un pays de pouvoir et non un pays d’êtres humains. L’État bénéficie d’une priorité absolue. Et la valeur de la vie humaine est réduite à zéro ».

Nous ne sommes pas dans le béni oui-oui, le puzzle croupi de nos défenses, la carte de l’humanité a des viscères, des muscles, aurait t-elle une âme. C’est grâce à ces vaisseaux humains, ces émotions magnifiées par l’art, le chant, la danse, le théâtre, nous dit Stéphanie Loïk, que nous existons.

Les interprètes dessinent l’espace avec une scrupuleuse, infinie déchirante concentration. Certaines paroles extraites de la « supplication » de Svetlana Alexievitch se suffisent à elles mêmes. Qu’elles puissent occuper cet espace de rencontre qu’est la scène de théâtre, c’est une évidence soulignée avec talent et délicatesse par toute l’équipe de ce spectacle !

Paris, le 1er Mai 2016                                 Evelyne Trân

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