Avec Jean-Thomas Bouillaguet, Philippe Dubos, Benoit Fourchard, Nicolas Marchand
Compositeur, musicien Till Sujet – Textes Carole Prieur
Chorégraphie Nathalie Pernette – Danseuse Marielle Durupt
Régie Thomas Ménoret
« Macha un fantôme, moi un homme invisible ! » s’exclame un homme avant de s’engouffrer précipitamment dans sa voiture, sa commande étant enfin arrivée. Seulement il ne s’agit pas d’un repas fast-food qu’un employé vous remet sans que vous ayez besoin de quitter votre véhicule, il s’agit de Macha la meilleure prostituée du site, un parking obscur où quatre voitures inquiétantes (parce qu’il faut qu’elles s’approchent du public pour découvrir leurs occupants) tournent en rond.
Quatre ou cinq groupes de spectateurs se partagent les gradins comme sur un stade de football. L’atmosphère est humide, il ne fait pas chaud au parc de la Pépinière, un 23 avril à 22 heures à Nancy. Pendant le spectacle, ils feront la connaissance des différents conducteurs qui viendront chacun à leur tour se présenter comme les clients de Macha.
Ils sont tous différents. L’un, le visage satisfait, nous a apparu carrément veule tenant des propos à faire vomir. Il est évident que pour lui la prostituée est un produit de consommation comme les autres qui fait partie de l’économie du marché. Qui s’en plaindrait ?! Un 2ème par contre parait plus déchiré, il se défend contre les réactions (imaginées) de son épouse qui l’accuse « Tu aimes coucher avec un fantôme avec une femme absente à elle-même ». Le 3ème qui n’hésite pas à répondre à la voix enregistrée lui demandant de faire son choix « Pour Macha taper 1, pour Sonia taper 2 » de lancer « Viande fraiche ! » se présente comme un obsédé du sexe. Le quatrième, quant à lui a conscience de participer à un marché de dupes, et parle des « désespérés sexuels ».
A la fin de ce road movie, le public rassemblé assiste à l’apparition de Macha qui tel un oiseau de nuit relève ses ailes avant de sombrer dans le silence tandis que ses clients errent piteusement.
Depuis le 6 Avril 2016, après de nombreux débats, le Parlement a adopté définitivement la pénalisation des clients des prostituées. La France est le cinquième pays européen à pénaliser les clients des prostituées après la Suède, la Norvège, l’Islande et le Royaume Uni. Il est évidemment trop tôt pour mesurer les effets de cette loi en France où selon les estimations officielles, il est comptabilisé 30 à 40000 prostituées dont « 80 % sont d’origine étrangère et le plus souvent victimes des réseaux de proxénétisme et de traite ».
Le spectacle conçu par Carole PRIEUR et HOCINE CHABRA qui donnent la parole à ces clients « invisibles » interpelle le public de façon intelligente et démonstrative.
Leur réflexion s’est cristallisée sur une question d’Anne ZELENSKY, présidente de la ligue des droits des femmes « Comment se fait-il que des hommes continuent à aller voir des prostituées alors que la liberté sexuelle existe ? ». Mais elle met aussi le doigt sur le fait que « la prostitution a déjà « rejoint la loi des grands marchés » avec un marketing agressif (forfaits clients illimités etc.).
L’enfer est pavé de bonnes intentions rétorquent ceux qui condamnent la loi du 6 avril 2016. « La prostitution existe depuis la nuit des temps » est l’argument le plus usité. Il n’empêche, il importe que la communauté prenne conscience des crimes perpétrés contre des femmes qui ne peuvent pas se défendre, utilisées comme des esclaves sexuelles. Bon gré, mal gré, les clients qui ne se voilent pas la face peuvent se considérer complices. Il est temps justement que l’argument de la nuit des temps cesse de justifier l’injustifiable.
Avec une mise en scène très opérationnelle, un texte pertinent et d’excellents interprètes, la Compagnie la Chose publique a offert au public un spectacle très fort, apte à ébranler ceux qui continuent à s’interroger sur ce problème de société et dans tous les cas bienvenu dans le cadre du festival RING 2016 !
Paris, le 26 Avril 2016 Evelyne Trân