Avec : Sarah Mesguich (La Princesse)
Fabrice Lotou (Lélio)
Sterenn Guirriec (Hortense)
William Mesguich (Frédéric)
Alexandre Levasseur (Arlequin)
Rebecca Stella (Lisette)
Alexis Consolato (L’Ambassadeur)
Costumes |
Dominique Louis
|
Scénographie | Camille Ansquer |
Son | Franck Berthoux |
Maquillage | Eva Bouillaut |
Régie générale | Eric Pelladeau |
Régie son | Xavier Launois |
Désir, amour, respectabilité pourraient figurer les trois arcanes du jeu de cartes qu’utilisent les personnages du Prince travesti de Marivaux.
Dans tout jeu, il y a des règles mais les arcanes dépendent de l’interprétation des joueurs, interprétation qui peut être détournée, subjective, faussée, arrangée .
Il faut tirer son épingle du jeu, signifie Marivaux, contemporain d’une société qu’il doit juger hypocrite par bien des aspects.Dans le Prince travesti, il met en parallèle, en miroir, la passion amoureuse qui dévore la Princesse et sa suivante Hortense et l’ambition démoniaque du ministre Frédéric. Lélio, le Prince travesti qui a décidé de se déguiser en aventurier à la cour de la Princesse, prend de la distance avec sa propre identité, en d’autres termes, il cache son jeu, n’entendant se dévoiler qu’au moment ultime.
Il y a des raisons politiques pour avancer masqué mais également des raisons affectives. Nous avons affaire à un échiquier où tous les protagonistes ont valeur de pions, sauf qu’Arlequin, l’espion de service, ne cesse d’y glisser, il y plane l’ombre orageuse d’un drame. Hortense la suivante et la Princesse sont amoureuses du même homme Lélio. Hortense n’ose avouer son amour à la Princesse, « une âme violente » par crainte des représailles.
La raison d’état prendra le pas sur les affres des passions. Car il faut bien que la Princesse, interprétée de façon très intérieure par Sarah MESGUICH choisisse, s’abandonner à la fureur de sa jalousie ou garder son rang, qui lui assure le respect et la dignité.
D’emblée, la scène avec ses miroirs sans tein fait penser à une sorte d’écrin fumeux qui a pour effet d’accentuer la solitude des personnages, notamment celui de la Princesse en quête d’amour et celui d’Hortense qui doit garder secréte son affection pour Lélio. Tout se passe comme si tous les protagonistes volontairement ou pas ne pouvaient exprimer leurs réels sentiments, par politique, pudeur, bienséance ou par crainte. Le désir se trouve au centre de l’écrin tel un foyer ardent où chacun risque de brûler son âme.
Et pourtant à l’intérieur même de cet enfer, de cette prison dorée, Marivaux ouvre une porte d’air frais et pur, exprimé par l’amour de Lélio et d’Hortense.
Marivaux traduit magnifiquement les atermoiements d’Hortense déchirée entre son devoir de fidélité vis à vis de la Princesse et cela qui lui paraît inespéré, unique, son amour pour Lélio.
Cette vulnérabilité, la comédienne Sterenn GUIRRIEC, l’exprime de façon bouleversante. William MESGUICH qui compose superbement un le ténébreux ministre Frédéric pourrait également faire pitié.
Curieusement c’est le Prince travesti joué avec beaucoup de naturel par Fabrice LOTOU qui paraît le plus libre. Quant à Arlequin, l’excellent Alexandre Levasseur, sa grossièreté comique laisse percer l’ironie de Marivaux à l’égard des complications que se créent tous ces personnages.
L’issue de la pièce est heureuse mais nous pourrions nous demander s’il ne s’agit pas encore d’une mascarade. Plusieurs cœurs se sont trouvés incendiés, celui de la Princesse qui n’a droit qu’à un mariage de raison, celui de Frédéric démasqué.
Le metteur en scène Daniel MESGUICH ne porte pas de jugement, il donne à voir un bijou nommé désir qui brille de tous ses feux mais est terni par plusieurs incendies. C’est éloquent, violent, réflexif, c’est la passion qui couve derrière un regard profondément rêveur.
Paris, le 28 Mars 2016 Evelyne Trân