UNE TROP BRUYANTE SOLITUDE – Texte Bohumil Hrabal – Avec Thierry Gibault – Mise en scène et adaptation de Laurent FRECHURET – au THEATRE DE BELLEVILLE – 94 rue du Faubourg du Temple 75011 Paris – DU LUNDI 1er FÉVRIER AU MARDI 29 MARS 2016 les lundis à 21h15, les mardis à 19H15 –

UNE TROP BRUYANTE SOLITUDE

P.S. : Thierry GIBAULT était l’invité de l’émission DEUX SOUS DE SCENE, le samedi 20 Février 2016, sur Radio Libertaire 89.4 (en podcast sur le site Grille émissions de Radio Libertaire pendant un mois).

Texte Bohumil Hrabal Mise en scène et adaptation Laurent Fréchuret Traduction Anne-Marie Ducreux-Palenicek © Editions Robert Laffont Avec Thierry Gibault Son François Chabrier Lumière Eric Rossi Collaboration artistique Thierry Gibault Directeur de production Slimane Mouhoub Production Théâtre de l’Incendie

C’est un long monologue, c’est renversé à l’endroit et à l’envers un matelas de chair, de pensées, de temps pouilleux qui pullulerait de puces et insectes divers, c’est l’histoire d’un homme qui projette son âme dans la seule lisière qu’il lui reste, sa capacité à braver seul, le spectacle du pilonnage de livres .

L’écrivain Tchèque Bohumil HRABAL (1914-1997) qui exerça « tous les métiers » connut la censure et deux de ses propres furent pilonnés après 1968.

Le narrateur commence ainsi son livre :

« Voila trente cinq ans que je travaille ans le vieux papier et c’est toute ma love story ». Une phrase qui pourrait s’apparenter à celle de Proust « Longtemps je me suis couché de bonne heure ».

Il s’agit bien d’une histoire de temps, de temps comprimé dans la chair qui s’expose à l’inéluctable, à la mort, à la destruction. L’homme est donc employé dans une usine de recyclage de papiers en tout genre et notamment de livres. Ironie du sort, il aime les livres, alors il fait en sorte d’en sauver quelques uns du pressoir, de l’anéantissement, chaque jour, et il les empile dans sa propre cave.

Cet acte devient aussi répétitif que celui d’appuyer sur le bouton pour en écraser des milliers d’autres. Mais ce geste, c’est aussi une façon de faire reculer le temps qui passe et surtout de se désigner en tant qu’homme capable de recycler son malheur à travers cet aléatoire bonheur d’avoir pu sauver quelques livres.

« La chair est triste hélas et j’ai lu tous les livres » disait Mallarmé. Il paraît que pour l’ouvrier pilonneur qui se représente tel un boucher,  la valeur des pensées qui passent par les livres ne risque rien. Il le dit :  » Tous les inquisiteurs des livres les brûlent vainement. : quand ces livres ont consigné quelque chose de valable, on entend encore leur rire silencieux au milieu des flammes parce qu’un vrai livre renvoie toujours ailleurs, hors de lui même ».

Il semblerait que c’est la matière des livres qui l’interpelle. En ce sens le livre pourrait devenir une métaphore, une projection de l’homme lui même déchiré entre le corps et l’esprit.

C’est le corps du livre auquel il est rattaché physiquement et spirituellement qu’entend exprimer l’auteur. J’incarne ce livre, dit il en quelque sorte,  moi avec mes mains poisseuses, noires d’encre, moi avec ma poitrine pleine de sueur, mon ventre devenu une outre pour les litres de bière que j’absorbe, pour tenir, pour supporter…

Devenir corps du livre, il s’agit bien d’un acte de résistance. C’est l’ouvrier qui parle, c’est le paysan qui ausculte sa terre, toujours à l’écoute de ce qu’il sait devoir lui échapper, c’est l’énergie du désespoir.

Qu’est ce qui fait penser un homme ? Qu’est ce qui le conduit à écrire, à consigner ses pensées ? Un écrivain pourrait dire « Tel un anthropomorphe, je parle pour toutes ces choses qui ne parlent pas, un sac de pommes de terre, je le fais mien ; un dépotoir, un excrément, une belle lumière, tout cela je le fais mien, c’est ma façon à moi de posséder le monde ».

C’est peut-être pour ça que la langue de Bohumil HRABAL est si belle. Possédé par la matière écrasante de son travail de fossoyeur, il finit par la posséder à son tour, avec sa propre matière celle de mots, celle de cris qui fouillent du côté de la chair, celle d’un homme pour qui le seul moyen de relever encore la tête, face à l’oppression, c’est de laisser croître, avancer sa pensée.

Un ouvrier des mots qui s’expose, qui se donne en spectacle, qui tremble, transpire et parfois s’illumine à l’évocation de ses chères œuvres sauvées, un homme qui aime les livres au point de vouloir les incarner, oui c’est fou et humain à la fois.

Non la chair n’est pas triste, elle s’illumine parfois. Pour ce rayonnement que communique l’excellent interpréte,Thierry Gibault, mis en scène par Laurent Fréchuret, nous avons aimé le spectacle, qui pendant plus d’une heure, laisser exulter la chair, la chair des livres.

Paris, le 7 Février 2016                                    Évelyne Trân

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