« KUROZUKA »
木ノ下歌舞伎『黒塚』
Supervision : Yuichi Kinoshita
Mise en scène, scénographie : Kunio Sugihara
Avec : Yuya Ogaki, Wataru Kitao, Kimio Taketani, Shinya Natsume, Kan Fukuhara
Pour les profanes, le kabuki est une référence quasi mystérieuse du théâtre japonais traditionnel qui peut se résumer à quelques clichés visuels où l’on voit des acteurs grimés, habillés de superbes costumes, déclamer et chanter comme si leurs voix sortaient de ténébreuses cavernes pour se muer en mélodies, tout en dansant avec des gestes très élaborés et lents, la danse et le chant étant indissociables.
Il s’agit d’un art très codifié qui demande des années d’apprentissage, dès l’enfance. Aujourd’hui au Japon nous disent l’artiste chercheur YUICHI KINOSCHITA et le metteur en scène KUNIO SUGIHARA, l’art du kabuki n’est plus du tout à la mode, il est même en passe d’être complètement ignoré. Conscients de cette réalité , ils proposent donc une relecture du kabuki de nature à toucher encore les « anciens » et émouvoir le jeune public.
C’est à travers la trame d’une pièce de kabuki créée en 1939 inspirée d’un nô narrant la légende de 3 moines voyageurs et d’un porteur découvrant dans un taudis, une vieille femme, se révélant être une ogresse, que les jeunes artistes, à peine âgés d’une trentaine d’années, ont eu l’idée d’exprimer leur état d’esprit, leur étonnement, leur fascination à l’égard du kabuki, si éloigné du théâtre contemporain.
Ces moines voyageurs représentent en quelque sorte les jeunes d’aujourd’hui, habillés à la diable, dansant et chantant sur des airs pop, si peu respectueux des interdits qu’ils vont s’affranchir de la promesse donnée à la vieille dame qui les héberge, de ne pas ouvrir la porte de sa chambre et découvrir l’horreur d’une marée de sang.
Ainsi les jeunes qui désireraient ouvrir la porte du passé en seraient pour leurs frais; derrière cette porte, il y a tout ce sang des guerres de l’histoire du Japon qui rumine encore.
C’est l’interprétation qui nous saute à l’esprit. Les jeunes moines sots ou ingénus ne voient tout d’abord chez la vieille femme que sa gentillesse, son sens de l’hospitalité, ils sont ravis par le spectacle qu’elle leur donne du maniement du rouet. L’adaptation de la légende déborde franchement les bornes manichéennes du mal et du bien. Il est vrai que dans les contes – le mythe de l’ogresse devant exister un peu partout dans le monde – notamment dans ceux de Perrault, il est possible d’imaginer que l’ogresse n’est que la forme monstrueuse qu’a développée un humain pour des raisons obscures mais qui tancent le subconscient. Dans cette pièce, c’est le parcours humain terrible d’une femme que nous raconte YUICHI KINOSCHITA qui est devenue folle et ogresse suite à un affreux traumatisme.
Avec beaucoup d’humour, le jeune adaptateur se moque du bouddhisme, de ses belles prières qui un moment touchent la pauvre ogresse qui rêverait d’oublier son lourd passé, mais qui déçue par l’inconsistance de ces jeunes, retrouve sa hargne et décide de les manger. Les jeunes reprennent leurs esprits, ils l’abattent, la laissent pour morte, tout est bien qui finit bien, croit-on. Mais le corps pesant de l’ogresse se relève, il rampe vers sa tanière, il est toujours là.
Le langage parlé, vif argent du groupe de jeunes, à l’allure de scouts, coexiste avec celui moyenâgeux du kabuki exprimé par l’ogresse, interprétée par un homme. Cette confrontation sur l’instant entre deux mondes, deux époques est vraiment saisissante. A vrai dire, les interprètes des moines et du porteur semblent également être imprégnés de kabuki, ils s’amusent parfois à reproduire ses danses, conscients de n’être capables que d’une approche mais c’est très drôle, très expressif !
Dans le fond, c’est une ogresse très humaine que met en scène YUICHI KINOSCHITA, laquelle fait résonner aussi bien sa folie, sa douleur que sa fureur. Le jeune porteur qui ouvre la porte interdite de cet ogre du passé, c’est YUICHI KINOSCHITA lui même, fasciné par l’art du kabuki qui découvre de façon très émotionnelle, les relations entre un art moyenâgeux et les extravagances, les déchaînements de la pop musique.
Qu’avons nous à voir avec ces démons, avec ces légendes du moyen âge, est-il possible que de loin ou de près, à travers le regard de l’ogresse, nous ne lui apparaissions que comme de pâles réincarnations, s’interrogent ces jeunes artistes.
Ce fossé entre le monde du passé et celui du présent constitue une véritable épreuve, c’est cette épreuve même que nous relate ce spectacle surprenant et original, dans un dialogue abrupt mais relevé, cocasse et même poétique.
Car la chère Lune qui illumine de tout temps la poésie japonaise s’illustre encore dans une danse insolite de l’ogresse avec son ombre, magnifique, dont l’inspirateur serait un certain Paul Claudel.
La scénographie est astucieuse. Juste une estrade en bois montée de quelques marches, qui permet quelques acrobaties délirantes et à la vieille ogresse pleine d’énergie, souvent le dos baissé, de se cacher puis de courir comme un furet.
Les comédiens sont épatants notamment l’interprète de l’ogresse Kimio KATEKANI, qui a reçu un prix du meilleur acteur pour ce rôle.
Vraiment ces jeunes Japonais ont du talent et de l’audace ! La Maison de culture du Japon, comme toujours, souhaite communiquer au public français, l’enthousiasme artistique de la jeunesse japonaise, c’est un véritable privilège, un de ces voyages spirituels qui éclairent les paysages de l’âme humaine, leurs visages, au-dessus des nuages, au-delà des frontières.
Paris, le 30 Janvier 2016 Evelyne Trân
Bonjour,
J’ai lu votre critique sur la représentation de Kurozuka par Kinoshita-kabuki et votre article m’intéresse beaucoup.
Je suis éditeur un web-magazine du théâtre qui s’appelle WL.
J’aimerais bien traduire votre article en japonais et je voudrais l’afficher sur notre web en le traduisant en japonais pour faire savoir au public japonais.
Je vous serais donc très reconnaissant de bien vouloir me donner votre permission de traduire votre critique en japonais et de le publier sur notre site.
Comme notre site se tient bénévolement, nous ne pouvons pas rémunérer votre permission (j’en suis très désolé). Mais je vous promets de bien indiquer le lien à l’adresse URL originale de votre article comme référence, quand on publiera la version japonaise de votre critique sur notre web.
Cordialement
Mikio
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