d’après le roman Frankenstein de Mary Shelley
texte et mise en scène Laurent Gutmann
scénographie Alexandre de Dardel, costumes Axel Aust, lumière Yann Loric,
son Estelle Gotteland
avec Éric Petitjean, Cassandre Vittu de Kerraoul, Luc Schiltz et Serge Wolf
Après tout Victor Frankenstein n’était qu’un homme ! Pauvre exclamation qui risque de laisser sur leur faim les amateurs de films d’horreur et ceux qui confondent le créateur d’un monstre avec sa créature.
Mary SHELLEY a écrit FRANKENSTEIN il y a deux siècles, presque au coin du feu, raconte-t-elle, pour combler l’ennui de quelques soirées d’hiver entre amis lors d’un séjour en Suisse. C’est alors qu’elle eut l’idée lumineuse de coupler ses informations scientifiques avec ses propres lectures d’histoires allemandes de fantômes.
Les adaptations cinématographiques du roman, ont mis l’accent sur l’aspect fantastique du scénario. Que se passerait-il si l’homme à l’instar du créateur était capable de créer une créature dérivée de lui-même ? Mary SHELLEY imagine que la créature qui ne peut être qu’un monstre se révolte contre son créateur qui le renie parce qu’il considère avoir complétement raté son objectif celui de créer un humain immortel, fort et lumineux, libéré de toutes les vicissitudes humaines marquées par la souffrance, la peur etc.
Ainsi sans le savoir Mary SHELLEY soulève un lièvre, celui de l’eugénisme (prôné par les nazis) qui fait débat et questionne les manipulations génétiques actuelles et à venir des savants sur les embryons d’animaux et humains.
Il est probable que les savants d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec la folie anxieuse du savant Frankenstein particulièrement captivante dans le roman de Mary SHELLEY. L’ombre de cette folie plane tout le long du récit parce que l’auteure entend permettre à « l’imagination de cerner les passions humaines de manière plus complète et plus riche qu’un enchaînement de faits réels ».
Bizarrement, l’adaptation théâtrale du roman par Laurent GUTMANN va délibérément à contrepied de cette visée, espérant sortir du brouhaha confus de la conscience du savant une figure du monstre plus objective, plus adaptée au contexte de notre époque d’esprit hélas, mais ce n’est qu’un point de vue, plus matérialiste, en tout cas, très éloignée du romantisme gothique de Mary SHELLEY, épouse du célèbre poète Percy SHELLEY ami du scandaleux et ténébreux Byron.
Visuellement, la créature du monstre est très réussie, elle peut frapper l’imagination par son caractère avenant à la façon d’un masque de théâtre, de grosse tête de carnaval à qui il ne manque qu’un fouet.
Le décor restituant un paysage de montagne dans les environs de Genève est rutilant de couleurs, magique à souhait. C’est dans ce décor merveilleux mais glacé que Victor F, son ami aveugle, sa dulcinée et le monstre errent comme des pantins. La glace va-t-elle se fissurer pour laisser place au procès qui appelle à la barre Victor F jugé pour les meurtres de ses amis, commis par sa créature ?
Il appartient aux spectateurs d’en juger à la faveur de cette proposition déconcertante qui entend ouvrir le débat, en humanisant la créature de Victor F. Il est dit que Dieu créa l’homme à son image. Conclusion, les hommes ne risquent-ils pas de créer des monstres à leur image ?! Quel danger ! Car l’homme qui n’a pas encore vaincu la mort ne sait pas non plus se regarder dans un miroir !
Paris, le 11 janvier 2016 Evelyne Trân