Mise en scène Dominique Dolmieu
Assistante Céline Barcq
Dramaturgie Daniel Lemahieu, régie Antoine Michaud
avec Nouche Jouglet-Marcus, Barnabé Perrotey, Salomé Richez et Federico Uguccioni
production Théâtre national de Syldavie / Maison d’Europe et d’Orient
avec l’aide à la production dramatique
du ministère de la Culture (DRAC Île- de-France)
Voilà une petite pièce tout à fait jubilatoire, sidérante et tristement comique qui met à nu les tics les plus « infâmes » de cet animal civilisé, l’homme face à son environnement.
La pièce aurait aussi bien pu s’intituler « La récolte des pommes pour les nuls ». A l’heure d’internet et du smartphone, où il suffit d’un clic pour imaginer dialoguer avec le monde entier, quatre gusses, deux femmes et deux hommes se retrouvent dans un verger pour la récolte de pommes. Quoi de plus simple, si l’on imagine que des singes ou nos ancêtres préhistoriques analphabètes ont récolté les pommes bien avant nous.
Ça parait simple et cela ne l’est pas du tout pour des citadins au demeurant sympathiques qui brillent pas leur incompétence, voire leur bêtise, tout en manifestant une bonne volonté catastrophique.
La pièce est sidérante parce qu’elle met en lumière le brouillard d’ignorance de quatre individus qui pourraient bien nous ressembler, incapables de se concentrer sur leur action, la récolte de pommes, plus soucieux de déléguer que d’agir eux-mêmes, qui vont se rendre coupables de la destruction d’une récolte, en s’enfonçant toujours davantage dans leurs bêtises, comme si hélas la bêtise était la chose la plus banale du monde.
Mais l’auteur, Pavel PRIAJKO ne porte pas de jugement. Les spectateurs assistent à une véritable leçon de choses en même temps que les protagonistes, apprenant au cours des travaux pratiques de ces jeunes inexpérimentés, qu’il ne faut pas enfoncer deux fois le même clou dans un cageot pourri et qu’il est inutile de surcharger la caisse des plus belles pommes du monde, si la caisse en question est sans fond.
C’est diablement instructif sauf que l’heure tourne et que nos quatre compères à peine décoiffés par leurs malheureuses expériences, n’auront même pas l’idée d’associer leur déconfiture à la vision apocalyptique de ces pauvres pommes piétinées à même le sol. Ils retourneront tout bonnement à leurs téléphones portables.
Drôle et effarante, la pièce surprend par la précision de ses observations, le réalisme des situations dont les déclics sont d’autant plus comiques qu’ils font rejaillir l’inanité des paroles échangées entre les victimes.
Force est de reconnaitre que pour mettre en scène de tels « beaufs » il faut disposer d’un humour plutôt féroce. Comment une récolte de pommes peut devenir un événement tragique, toutes proportions gardées. Nous avons envie de dire « Tant pis pour les pommes » mais la défaite de ces quatre jeunes, au bas mot, nous concerne, elle désigne notre propre inertie, nos petitesses, nos lâchetés, notre manque d’appétence pour les choses les plus simples au profit des virtuelles qui ne demandent pas d’efforts.
Il s’agit évidemment pour l’auteur de scruter tout ce qui dans les comportements humains, les plus anodins apparemment peut déboucher sur des désastres.
En ligne de mire, l’irresponsabilité, l’indifférence, la perte des repères les plus élémentaires au profit d’instances qui dépassent l’individu et l’inclinent à laisser les autres à agir à sa place. « Après moi, le déluge » pourrait être le mot d’ordre de ces pauvres types.
Une belle énergie se dégage de la mise en scène de Dominique DOLMIEU, dans une pièce qui requiert beaucoup de souffle pour rendre intéressants ces personnages qui brillent par leur inconsistance mais font sourire aux larmes.
Les comédiens épatants emmènent les spectateurs dans une sorte de tourbillon infernal de la bêtise humaine et nous rions malgré nous de « ce cauchemar humain et social » qui écarquille nos lanternes.
Nous devons à la Maison d’Europe et d’Orient la découverte d’un auteur contemporain biélorusse Pavel PRIAJKO particulièrement percutant.
C’est une belle gifle qu’il envoie au dos de nos chimères. Ça fait mal mais ça fait du bien. Que les amateurs de pommes mûres ou pas mûres aillent voir de toute urgence ce spectacle sponsorisé par une pommeraie qui ne demande qu’à exister !!!
Paris, le 10 Janvier 2014
Mis à jour le 27 Novembre 2015 Evelyne Trân