Les lundis, mercredis et vendredis à 20h30 Les jeudis et samedis à 19h00
Les dimanches à 17h00 Relâche les mardis
Adaptation et mise en scène: Stéphanie Loïk
Avec Nadja Bourgeois, Heidi-Eva Clavier, Lucile Chevalier, Véra Ermakova-Kouznetsov, Marie-Caroline Le Garrec, Adrien Guitton, Martin Karmann, Abdel-Rahym Madi, Jérémy Petit
Création lumières: Gérard Gillot Création musicale, Chef de Choeur: Jacques Labarrière Création costumes : Mina Ly Préparation et chants russes: Véra Ermakova
La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement de Svetlana ALEXIEVITCH peut demander des jours de lecture. Nous imaginons volontiers des lecteurs ou des lectrices plongés dans ce livre dans le métro aux heures d’affluence. C’est le meilleur climat pour aborder cette œuvre, pour s’éprouver à la fois dans et au dehors, entouré , individu coincé au milieu de la foule et en faisant partie.
Pas de conscience individuelle sans conscience collective et inversement. A l’intérieur de la forêt des centaines de témoignages qu’a recueillies Svetlana ALEXIEVITCH, c’est le clignotant « rouge, qui lui est apparu tel un phare sanglant, tel un étendard brandi par l’homo sovieticus . Qu’est ce donc qui peut faire flotter le drapeau, si ce n’est le vent de l’histoire. Alors avec tous ses témoins, l’auteure de la fin de l’homme rouge, de l’homme communiste, entend signifier que les individus avec leurs petites histoires font partie de la grande histoire, ce grand arbre qui entend cacher la forêt humaine.
Elle est celle des émotions qui restent en marge, qui cramponnent l’individu dans le brouillard, le clouent parfois au sol, émotions utilisées par la propagande .Car ceux qui ont le pouvoir, ce sont ceux qui savent manipuler, la vox populi. C’est la raison pour laquelle, Svetlana ALEXIEVITCH a choisi de descendre jusqu’aux chevilles de ces témoins, qui ont touché le sol de cette grande Russie.
Trente ans d’histoire où se chevauchent en montagnes russes des perspectives qui se côtoient et s’ignorent . Celles des générations qui ont vécu en croyant dur comme fer au dieu Staline, qui ont vécu la seconde guerre mondiale, la perestroïka , la guerre contre l’Afghanistan, celles qui découvrent la société de consommation.
L’adaptatrice de ce roman fleuve, Stéphanie LOIK sait qu’il existe un espace temps, celui de la scène au théâtre, celui de l’orchestre au concert, celui de la tolérance, qui permet aux voix les plus divergentes de s’exprimer en chœur.
Ce manifeste de mémoire exige l’écoute de chaque participant qui doit trouver sa place particulière au sein du collectif. La mise en scène de Stéphanie LOIK fait penser à une symphonie exécutée par des corps chargés, chacun de sa mémoire particulière, qui lâchent leurs notes, leurs paroles ici et maintenant dans la terre commune.
Nous pourrions dire fosse commune sauf que cette mémoire est vivante, respirable, entendante. Chant inespéré, ourdi hélas par les psychodrames… Il y a des témoignages qui changent de peau et c’est là qu’on comprend que la souffrance ne doit pas rester terrée individuellement, que l’écoute d’un autre a valeur de réceptacle ouvert, solidaire. Qu’attendons nous du regard de l’autre, qu’il soit méprisant, moqueur, critique, agressif ou bienveillant ?
Vaste question ! Bien-pensance, allons donc ! Soupirs ! Nous sommes concernés, entourés. Voici que je songe à des milliers de kilométres de cette belle Russie, à cette strophe du poème « L’âge de raison » de Francis Blanche :
La ville écrase la forêt
pour y installer son décor
sans songer au bruit que ferait
le chant de tous les oiseaux morts.
C’est à méditer, n’est-ce pas, comme le magnifique spectacle que nous offrent Stéphanie LOIK et sa belle équipe de comédiens chanteurs, inspirés, dans la lisière de cette forêt commune, inconscient collectif qui tend à la conscience.
Paris, le 7 Novembre 2015 EvelyneTrân