Avec Stephen Szekely (Dom Juan), Olivier Mellor (Sganarelle, Charlotte)
Stéphane Piasentin (Elvire, Gusman, Don Louis, le pauvre, Charlotte, Mathurine, Pierrot, la statue du Commandeur, M. Dimanche)
Mise en scène : Karine Dedeurwaerder
Croyez vous encore à Don Juan ? Naturellement, sommes nous censés répondre. Cette créature est humaine et si vous avez envie de croire en l’homme plutôt qu’à un Dieu hélas invisible, pourquoi ne révériez vous pas le Don Juan de Molière ?
Parce que ce personnage qui clame sa liberté de vivre comme il l’entend n’a pas encre créé de véritable église et que sa liberté de pensée a des résonances individualistes, voire égoïstes , amorales, asociales.
C’est une étrange comédie que cette pièce de Molière où l’on voit un valet Sganarelle deviser philosophie avec son maître, un seigneur gâté, qui n’ a en tête que l’assouvissement de ses désirs.
Curieux jeu de miroirs et brouillard existentiel où s’enchevêtrent les peurs d’un valet et l’inconscience d’un petit seigneur .
Sur la balance, toujours en binôme pour se contredire, le pauvre et le riche, la jouissance ou la luxure, l’un des 7 péchés capitaux, la crainte de l’enfer. C’est peu dire, le poids de la religion .
Philosopher en jouant la comédie de la vie, toujours sur des tisons ardents, tel semble être le nerf de guerre de Molière qui ne cesse de composer avec sa propre fureur de vivre et les pouvoirs en place. Souvenons nous que les rois avaient la bénédiction des dieux et que Molière ne pouvait créer sans l’accord du roi Louis XIV.
Mais nous pouvons faire l’impasse du contexte historique, la pièce de Molière s’entend à travers les déclarations de foi ou de doute de pauvre bougres, qu’ils soient seigneurs ou valets.
« Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis » s’écrie un personnage de Dostoïevski dans les Frères Karamazov. Et cela sonne comme un aveu de détresse. Le génie de Molière c’est de pouvoir faire entendre cette alarme du cœur et de l’esprit en laissant vagabonder ses personnages.
La mise en scène très fine de Karine DEDEURWAERDER laisse jaillir l’esprit de Molière comme autant de petites flammèches de vie exécutées par des interprètes étourdissants d’humanité. Il y a un tel brassage d’états d’âmes que nous pourrions nous croire à la foire, à une fête foraine. Ouvrant grandes les voiles, Karine DEDEURWAERDER laisse même s’engouffrer sur une musique disco, la voix chaude et passionnée de Dalida.
Son Don Juan de poche sur tréteaux met en valeur l’essence même de Molière, son verbe qui n’a pas besoin de décors fastueux, qui peut même passer à travers le trou d’une serrure, tel un feu follet virulent, délirant, spontané.
A cet égard, Stéphane PIASANTIN inaugure toutes ces facettes en endossant avec virtuosité aussi bien Elvire, que le commandeur, le pauvre, le père etc…
Stephen SZEKELY est un Don Juan qui ne cache pas ses faiblesses, et en cela il reste sympathique, tandis que le Sganarelle joué par Olivier MELLOR fait penser que s’il n’avait pas été valet, par un obscur concours de circonstances, il aurait pu faire partie comme Don Juan de ses politiques opportunistes et pragmatiques, sans foi ni loi derrière leurs couvertures.
Menée tambour battant comme une comédie delle arte, avec d’excellents comédiens, voilà là une mise en scène de Don Juan très rafraichissante, qui dégourdit l’esprit et peut être goûtée sans modération en famille. Ici Molière n’a pas besoin d’être dépoussiéré, il respire !
Paris, le 13 Juillet 2015 Evelyne Trân