D’après La vie est un rêve de Pedro Calderón de la Barca
Trad. Denise Laroutis, éd. les Solitaires Intempestifs, 2004
Création collective du TAF Théâtre
Mise en scène Alexandre Zloto
Création lumière et construction Paul Alphonse
Création sonore Julien Torzec
Avec : Ariane Bégoin, Franck Chevallay, Boutros El Amari, Charles Gonon, Dan Kostenbaum, Caroline Piette, Yann Policar
Savons nous où les rêves nous entraînent puisque la plupart du temps nous ne nous en souvenons pas. A travers sa pièce « La vie est un songe » CALDERON nous livre une philosophie de la vie où il est tout simplement question de « lâcher prise ».
Sigismond, le héros de la pièce, coupable en naissant d’avoir entraîné la mort de sa mère, enfermé et enchaîné dans une tour par son propre père astrologue qui a cru lire dans les étoiles que son fils serait un tyran, fait vraiment figure d’homme préhistorique ou de bête humaine .
En réalité, Sigismond est un être hybride qui configure l’homme moderne, traînant derrière lui cette longue chaîne qui le rattache à l’homme des cavernes. Sigismond pense, poétise, gémit. Surtout il a de l’instruction, celle que lui a donnée Clothalde, le fidèle serviteur du roi.
N’importe qui se trouvant dans une prison, se réveille dans un palace peut bien se demander s’il ne rêve pas. Le Roi Basile sait fort bien que la frontière est très ténue entre le rêve et la réalité. Soucieux de se débarrasser de ses craintes vis-à-vis de son fils, il l’installe dans son royaume pour le voir à l’œuvre, prêt à le renvoyer en prison s’il se révèle un tyran . Sigismond qui se comporte tel, revient à sa condition première.
Et ce sera le déclic, la révélation suprême. En découvrant qu’il peut prendre aussi bien l’apparence d’une bête que celle du roi, Sigismond prend du recul vis-à-vis de ses propres sentiments, de ses alarmes sur sa condition, il pose ses balises, il s’ouvre un autre couloir où il n’a plus besoin de s’identifier à une condition éphémère, pour être.
Calderon opère un sorte de décryptage des comportements de ses personnages liés à leurs passions, qui ne démordent ni de leurs désirs de pouvoir, de vengeance, ni de leurs peurs, leurs superstitions.
Mais au fil du drame, tous vont lâcher prise. Sigismond devenu intelligent leur ouvre le chemin vers la sagesse.
Très justement le metteur en scène a nommé le spectacle « Impressions d’un songe » . Si les impressions jouent un grand rôle dans le domaine artistique, notamment au théâtre, elles font aussi partie de l’intimité de tout individu. On ne sonde pas un rêve dont on se souvient de la même façon que l’on sonderait une étoile ou simplement un objet. Une chose parait sûre cependant c’est que l’état de perception peut prendre, comparé à celui de veille, une dimension surnaturelle.
Durant la représentation , les spectateurs assistent à la transformation d’un homme SIGISMOND qui se demande s’il ne rêve pas. C’est plutôt bouleversant. Si nous ne rêvions pas, nous spectateurs, comment pourrions nous y croire. Le metteur en scène n’use que très peu d’artifices, la scène est vide de tout objet, seules les vasques d’une voile flottante, rappellent la scène ouverte d’un rêve, tout aussi bien l’œil couchant d’un dormeur d’où s’échappent les voix des personnages qui se bousculent, s’empoignent pour saisir la clé des songes, la vraie celle qui éclaire.
Dans cette pièce, il est véritablement question de souffrance humaine. Un homme qui ne souffre pas n’a pas besoin de se demander si la vie est un rêve ou pas. L’issue au désespoir, Sigismond ne peut la trouver qu’en lui-même. Gageons que ses larmes, celles d’un homme épuisé, rendu, permettront de faire éclore des rêves meilleurs. Sigismond n’est pas une illusion.
Quand la réalité bascule dans le rêve et vice versa ! Faut-il s’en référer à nos interprétations aussi diverses que subjectives ? En tout cas, nous ne pouvons que saluer celle du metteur en scène et des comédiens épatants qui parcourent le texte de la pièce comme dans un rêve, un rêve somme toute, bienveillant !
Paris, le 15 Mai 2015 Evelyne Trân