Mise en scène Benoît Lavigne. Texte français Alain Delahaye
Décor Laurence Bruley. Costumes Agathe Laemmel. Son La Manufacture Sonore.Lumières Christian Mazube.
Assistante à la mise en scène Sophie Mayer
Avec Marie Vincent et Roland Marchisio
Nous nous connaissons sans nous connaitre. Combien de fois, jetons nous un coup d’œil dans le miroir sans véritablement nous regarder ? Parce que le miroir ne nous dit rien sur la confusion de notre esprit, nos rêves, nos désirs, nos peurs. Il est fatal sans d’autres expressions que celles que nous lui prêtons, il exprime la solitude implacable de l’objet. Il n’existe de miroir que celui qu’on brise. Dans un conte d’Andersen, la reine des neiges, une poussière de verre était tombée dans l’œil d’un petit garçon et l’avait rendu méchant. Dans la pièce de Brian FRIEL, ce sont des éclats de solitude qui étincellent les personnages, comme deux cailloux qui s’entrechoquent . Brian FRIEL, le Tchékov Irlandais, rend compte de cette émotion à travers Sonia Sérébriakova d’Oncle Vania et André Prozorov, le frère des Trois sœurs.
Nul besoin cependant d’avoir en mémoire le curriculum vitae de ces deux personnages qui se rencontrent et se déplacent sur le terrain de l’imaginaire.
Comme si tout devenait possible dès lors que l’on s’adresse à un inconnu. Le chemin de la conversation devient un conte à deux paroliers. Comme si pour avoir quelque chose à se dire, il valait mieux improviser et laisser scintiller ses rêves que d’offrir l’écuelle terne de la réalité. A un moment donné, l’écuelle se renverse, l’eau tiédasse se transforme alors en vodka. L’homme ébloui et à l’affût d’une femme qu’il devine inassouvie, lui offre des pieux mensonges pour la contenter. La tentative de séduction échouera puisque pour déplacer la borne de la solitude, se pose la question d’un rêve indissoluble, d’une illusion.
Ils suffoquent de solitude Sonia et André. Trop peut-être. Impossible de tricher, les mensonges en tant que songes sont vrais. Parce que les sentiments qu’ils expriment sont naturels. Il ne peut y avoir de compromission avec eux. On appelle cela la solitude mais c’est aussi une espèce de liberté qui peut aboutir à des rencontres inopinées, de deux êtres solitaires.
Très évocateur le décor du café dit délabré, propice à la rêverie. Un lieu anonyme qui deviendra un intime souvenir dans le regard de Sonia et André.
Marie Vincent telle Anna Karénine est bouleversante. Roland Marchisio compose un André attachant avec sa bonne volonté et ses maladresses. La dernière scène nous le montre en train de se précipiter sur une feuille de papier pour écrire à Sonia qui vient juste de partir. Une vision crue ou cruelle toujours pleine d’espérance.
Si nous croyions avoir enseveli notre fibre midinette ou le « Je t’aime, moi non plus », nous faisons avec ce spectacle une provision de
sentiments à l’eau amère et douce d’une bonne tasse de thé, au comptoir du café du coin qui ressemble, à s’y méprendre, à celui de Brian FRIEL.
Grâce à la délicate intervention de la décoratrice, Laurence Bruley
et l’attention tangible du metteur en scène Benoit Lavigne, nous voilà
entraînés, éclaboussés, malgré nous, par le flot des rêves intérieurs de Sonia et André, à l’écume d’une conversation. Et c’est réconfortant !
Le 19 Novembre 2011 Evelyne Trân