
Mis en scène par Antoine Nouel
Avec Philippe Bozo, Franck Lorrain et Antoine Nouel
Lumière : Denis Schlepp
Son et images : Philippe Bozo
Inspirée du livre de Joseph KESSEL Les mains du miracle, la pièce d’Antoine NOUEL Deux mains la liberté met en scène 2 personnages emblématiques de la seconde guerre mondiale, Heinrich HIMMLER et Felix KERSTEN son médecin. Himmler, haut dignitaire nazi à la tête de la Gestapo a mis en place les camps de concentration et d’extermination des juifs. Kersten masseur réputé et médecin en thérapie manuelle a soigné Himmler, victime de crampes d’estomac extrêmement douloureuses. Profitant de sa place privilégiée auprès de ce criminel, il réussit à sauver 100.000 personnes dont 60000 juifs au péril de sa vie (sources wikipedia).
Comment imaginer que le sort de milliers de gens puisse dépendre des relations entre un patient et son médecin ? Si ce n’était cette couleur rouge sang qu’accuse les meubles du bureau d’Himmler, aucun visiteur ne pourrait imaginer que dans ce lieu douillet un homme travaille obstinément pour satisfaire le projet d’HITLER l’extermination des juifs.
Les rapports entre Himmler et Kersten sont affables voire enjoués même si le dégout de Kersten vis-à-vis de son patient reste patent. Seulement ce dernier ne doit rien laisser paraitre. Bien au contraire, car obligatoirement une intimité s’instaure ne serait- ce qu’à cause de ce contact par les mains avec la peau de son patient. D’où l’extrapolation envisageable, il y avait une faille chez le monstre Himmler que savamment Kersten a su exploiter. Himmler profondément narcissique ne peut se passer de Kersten parce ce que ce dernier le soulage et le flatte. Il consent donc pour le conserver à gommer sur de nombreuses listes les noms des personnes à sauver. Il ne s‘agit pour lui que d’un jeu virtuel ; ces noms ne sont que de la monnaie d’échange et aucunement des humains en chair et en os.
Un sentiment d’horreur peut saisir le spectateur car c’est la démonstration qu’avec des mots, des idées il est possible de faire régner la terreur ou de la stopper.
Hannah ARENDT a développé le concept de banalité du mal. D’une certaine façon le comportement d’Himmler le corrobore. Le personnage a souvent été décrit par des témoins comme un individu falot. Il s’agit pourtant bien d’un monstre. Parce que le mal est insaisissable avec les pincettes de la raison, il importe de ruser avec lui. Kersten savait qu’il avait en face de lui un individu paranoïaque dont il devait caresser le poil. Outre son talent de masseur, il disposait d’un grand flair psychologique.
Un 3ème personnage, Rudolf BRANDT semble faire le lien entre Kersten et Himmler en tant que secrétaire et sert l’un et l’autre.
Plane dans l’atmosphère le spectre de la mort ; Kersten a agi au péril de sa vie étant constamment cerné par d’autres gestapistes, notamment Heydrich. D’autre part, nous le savons, Himmler s’est suicidé et Brandt a été pendu.
Antoine NOUEL a voulu manifestement recréer un huis clos avec 3 personnages pour exprimer sur un plan humain sans parti pris, l’importance que peuvent représenter des actions et des choix individuels lesquels ne sont pas des gouttes d’eau dans l’océan de la grande histoire. Cette relation entre un nazi et un médecin a pourtant bien failli tomber dans les oubliettes. L’auteur ne recherche pas l’effet superfétatoire, il invite les spectateurs à sonder l’humain dans des ressorts plus complexes que le duel du bien contre le mal et interpelle sur cette banalité du mal oh combien menaçante.
La pièce est une réussite tant du point de la mise en scène particulièrement soignée, l’écriture, le décor et bien entendu l’interprétation. Elle vaut vraiment le détour car elle est très instructive !
Evelyne Trân
Le 27 Septembre 2002
N.B : Article également publié sur le site du Monde Libertaire en ligne
Super merci 😁✌✋💖
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