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Voilà un des spectacles les plus forts auquel j’ai eu la chance d’assister. Il s’intitule « L’Enfer » et est adapté du livre éponyme de Henri BARBUSSE un auteur connu essentiellement pour avoir écrit le roman Le Feu qui témoigne des horreurs de la guerre de 14-18.
Il s’agit aussi d’un témoignage, voire d’une confession d’un homme vivant une expérience en soi extraordinaire, celle d’assister, sans être vu, à des parcelles de vie d’inconnus-es, se déroulant dans une chambre d’hôtel, mitoyenne à la sienne, grâce à un providentiel trou dans le plafond.
L’homme se décrit tout d’abord comme un être ordinaire, désenchanté, confiné dans une solitude inquiète et absconse – il faut imaginer la chape de plomb que représente le silence dans une chambre d’hôtel lugubre – : Je n’ai rien, déclare-t-il mais je voudrais qu’il m’arrive quelque chose d’infini. Cet homme en proie au cafard entend soudain un chant émanant de la pièce voisine. C’est le départ d’une aventure qui va transformer sa vision des êtres et du monde :
« Je domine et je possède cette chambre. Ceux qui y seront, seront sans le savoir avec moi. Je les verrai, je les entendrai comme si la porte était ouverte ».
L’homme se découvre passionné par le spectacle de la vie. Il ne cesse de s’extasier sur ce qu’il entend, sur ce qu’il voit car c’est toujours la première fois, car c’est toujours inattendu, inespéré. Dès lors son témoignage résonne comme un hymne à l’humanité retrouvée chez tous les personnages de passage dans la chambre d’à côté. « Rien n’est plus fort que d’approcher d’un être quel qu’il soit ».
Nous ne raconterons pas par le menu les différentes apparitions auxquelles assiste le narrateur. L’important pour le spectateur n’est-il pas de s’éprouver voyeur également par le trou de la serrure de sa propre perception en signe d’accompagnement de celui qui dirige son regard vers l’autre ardemment, avec un intérêt toujours croissant.
« Il faut accoucher de l’autre » semble nous exhorter cet incroyable narrateur incarné magistralement par Jacques ELKOUBI. Pourquoi, comment, que nous raconte-t-il, l’homme n’est-il pas méchant dans son essence ? BARBUSSE veut croire en l’humain, en dépit de ses multiples failles, ses doutes, ses démons, ses chavirements ; il clame sa foi en lui.
Découvrir que le regard que l’on porte sur l’autre, cet inconnu, a son importance parce qu’il peut repêcher du désespoir, de la solitude où cet autre peut se croire ligoté ; il peut sauver.
Celui qui se hisse jusqu’au plafond pour assister au spectacle de la vie d’autres humains, en s’élevant est en proie au vertige, à l’émotion de vivre sur l’instant un moment unique. « Mais je vous vois » crie le voyeur à l’homme qui est en train de mourir dans la pièce voisine ». En somme, il lui crie « Je vous aime ».
Cette expérience, elle se partage pour quelques représentations exceptionnelles, avec Jacques ELKOUBI, l’interprète intense, incandescent, d’un texte illuminé, passionnément humaniste.
Paris, le 20 septembre 2022
Evelyne Trân
N.B : Jacques ELKOUBI et Fabienne ELKOUBI étaient les invités de l’émission DEUX SOUS DE SCENE à Radio Libertaire 89.4 le samedi 10 Septembre 2022 en podcast sur le site de Radio Libertaire.
Article également publié sur le Monde Libertaire en ligne :