
Mise en scène Stéphanie TESSON
Avec Catherine SALVIAT
Jean-Paul FARRÉ
Alejandro GUERRERO ou Jade BREIDI
Assistante à la mise en scène Émilie CHEVRILLON
Lumières François LOISEAU
Costumes Corinne ROSSI
Peinture sur costumes Marguerite DANGUY DES DESERTS
Comment ne pas se rappeler ces jeux d’enfance où il suffisait de dire « Aujourd’hui nous partons à la mer » et aussitôt la véranda se transformait en plage, le carrelage se soulevait et nous brûlait les pieds. Nous guettions le précipité des vagues mais nous savions très bien que nous jouions et que notre petit jeu, feu d’artifice ne pouvait gommer le monde extérieur, les adultes et le bruit des actualités. Et la mer que nous avions souhaitée heureuse se teintait de mélancolie. Le charme était rompu dès lors que nous avions compris que nous jouions.
Ce préambule pour souligner que les personnages des Chaises de Ionesco peuvent nous renvoyer à l’enfance, à cette inquiétude grandissante du monde extérieur que l’imagination la plus étourdissante ne peut évacuer.
L’intrigue de la pièce peut se résumer en une phrase : Deux petits vieux donnent une réception. Les invités très nombreux sont représentés par des chaises.
Juste une parenthèse ! Qui sont les spectateurs qui viennent assister à une représentation d’une pièce de Ionesco ? Font-ils partie de ces personnes qui ne répondent pas au Bonjour que leur lance un inconnu ou une inconnue ? L’inconnue au sourire niais passe inaperçue. Elle voudrait dévisager tous les visages mais c’est impossible. Il y a trop de gens bien élevés autour d’elle. Elle a de la chance, elle est énervée, elle ne retrouve pas son ticket planqué dans son portable alors elle l’injurie méchamment. Des dames choquées manifestent leur désapprobation. Elle leur rétorque « Ce n’est pas à vous que je parle, c’est à mon portable ». Tout de même, songe-t-elle, voilà des personnes qui vont au théâtre et qui ignorent qu’il est possible de s’en prendre à un objet.
La pièce peut se prêter à de multiples interprétations tangibles ou intangibles. A mon sens, ce sont des coups de sang que met en scène Ionesco. Le pourquoi et le comment sont d’ordre fictionnel et dépendent des humeurs des protagonistes, metteurs.res en scène, comédiens.nes, public tous.tes confondus.es.
Dans la mise en scène de Stéphanie TESSON, le jeu des comédiens est si démonstratif, si coloré (les costumes sont superbes) que nous en oublions les personnages principaux, les chaises. Tout ce silence que pourraient invoquer les chaises, ce vide si précieux quelque part comme le sentiment de la page blanche est annihilé au profit de la logorrhée du Vieux et de la Vieille qui déploient une énergie incroyable pour afficher leur existence. De la cacophonie de leurs échanges, de leurs efforts tragi-comiques pour faire jaillir de leur bouche d’invraisemblables invités, ressort leur détresse, ou leur folie au choix.
L’homme qu’interprète Jean-Paul Farré joue avec aplomb le maître de cérémonie. La femme – Catherine Salviat étonnante – a du mal à le suivre, elle est la petite sœur qui voudrait mimer le grand frère. Elle ne fait qu’obéir en somme au grand ordonnateur, elle va chercher les chaises.
Les chaises étaient lourdes à déplacer. C’est tout de même très physique cette histoire. Physiquement, c’était un exploit, physiquement, c’est la vie. Théâtre de guignol, oui ce guignol cher à la mémoire de Ionesco, pourquoi pas !
Quant aux chaises vides, ces bancs publics, cette hallucination qui peut saisir quiconque observe dans un bus ou un métro tous les gens qui vont s’asseoir l’un après l’autre sur le même siège en un tour de main, dites-vous que cela appartient au fantastique de la réalité comme chez Ionesco !
Le 4 Avril 2022
Evelyne Trân
Article initialement publié sur le Monde Libertaire en ligne :
https://www.monde-libertaire.fr/?article=__Assieds-toi_brigadier_!