
Mise en scène : Guillaume Morana assisté par : Catherine Grammosenis
Décors et costumes : Gladys Busson
Avec : Jérôme Gracchus, Gladys Busson, Lucie Laffitte, Lionel Bouteau,
Cécilia Bompuget, Arnoïs
C’est un hasard mais il n’y a pas de hasard dit-on, je m’apprête à rendre compte d’une pièce de Ionesco vue récemment et je découvre qu’aujourd’hui 28 Mars 2022, c’est l’anniversaire de sa mort en 1994, soit il y a 28 ans.
Qu’est-ce donc que 28 ans dans l’univers, juste quelques poussières d’années. En tout cas sa pièce Le Roi se meurt écrite en 1962 alors que Ionesco sortait d’une grave maladie, n’a pas vieilli. Je l’ai découverte dans un tout petit théâtre à Nice, le théâtre de l’Impertinent dirigé par Guillaume MORANA. Sa mise en scène servie par une belle équipe de comédiens et comédiennes, est tout à fait épatante.
Le Théâtre de l’Impertinent intimiste et convivial possède un charme infini, celui de la simplicité et de la proximité aussi bien avec les spectateurs que les comédiens, exigüité de la salle oblige (i n’y a que 40 places). Quel plaisir de se retrouver dans cette niche théâtrale qui éveille pour les séniors une floppée de souvenirs. Ionesco, je l’ai découvert enfant dans la pièce « Amédée où comment s’en débarrasser » avec Alice SAPRITCH et Jean-Marie SERREAU à la télévision en 1968. Cette vision des godillots qui grossissent, grossissent jusqu’à envahir l’antre d’une chambre désolée, est restée ancrée dans ma mémoire.
Ionesco pensait beaucoup à la mort. La pièce met en scène l’homme omnipotent, l’homme Roi, l’homme de tout un empire qui se voudrait immortel, face à sa cour, réduite à une femme de ménage, un médecin et sa première épouse qui l’exhortent à accepter sa mort prochaine. Il faut dire que tout autour de lui va à la catastrophe. Les spectateurs assistent donc à son agonie sachant qu’à la fin de la représentation comme l’annoncent les protagonistes, le Roi sera mort.
Le décor et les costumes semblent émaner d’un conte de fée intemporel ou d’une fable géante qui raconterait « il était une fois un Roi qui ne voulait pas mourir… ».
Comment passer de la terreur au drolatique, je l’ignore. C’est pourtant dans nos contes d’enfance qu’est stipulée la cruauté de la condition humaine.
Il ne semble pas que la notion d’absurdité à propos de son œuvre ait emballé Ionesco. Pour lui la connaissance ne pouvait être qu’existentielle ou métaphysique (ce sont ses propres propos). Ionesco s’est-il dit à lui-même « Je vais mourir donc je vais jouer ma mort. Il faut que quelqu’un me dise que je vais mourir, sinon je ne peux y croire ». Vaste frisson ! La vérité c’est que le jeu, le désir de jouer est primordial chez Ionesco le mot jeu ne se reflète-t-il pas dans son homonyme, le pronom Je ?
La pièce est politique puisqu’à travers le Roi Bérenger 1er, Ionesco fustige tous les pouvoirs, mais c’est aussi tout humain que Ionesco entend retrouver dans le miroir de ce personnage extrême.
Il est étrange comment descendant de son estrade au fur et à mesure qu’il s ‘approche de la mort, Bérenger oublie tout le mal qu’il a provoqué et saisi de ravissement exprime son amour de la vie. Certes sa première épouse prône le détachement et la deuxième l’hédonisme mais ce n’est pas la science philosophique qui vient au secours de Bérenger. Ce qui est manifeste dans ses propos c’est ce retour à l’enfance, sa capacité de délirer tout en exprimant des émotions simples. Alors qu’on attendait de ce Roi omnipotent au seuil de sa mort des réminiscences de sa gloire, le voilà qui parle longuement presque en sanglotant d’un chat roux qu’il a vu mourir.
Jérôme GRACCHUS étonnant, n’interprète pas un tyran odieux mais plutôt un homme Roi ridicule sans être grotesque qui retombe en enfance (retomber en enfance n’est pas synonyme de gâtisme) dont le Moi je décline jusqu’au baisser du rideau.
Drôle de pièce intense sans être éprouvante sans doute parce que l’humour et la fantaisie de Ionesco font toujours mouche pour chasser la tristesse. Il est possible, eh oui, de sortir heureux d’une représentation du Roi se meurt.
La distance est grande croit-on entre ce Bérenger là et les tyrans que nous connaissons ; il y en a un aujourd’hui, hélas, tout désigné par l’apostrophe de Jérôme GRACCHUS au public « Et surtout n’oubliez pas et cette pièce le démontre que tout tyran qu’il soit, tout roi qu’il soit, il finit par mourir ».
Eze, le 28 Mars 2022
Evelyne Trân
Article initialement publiés sur Le Monde Libertaire en ligne
https://www.monde-libertaire.fr/?article=Le_brigadier_au_chevet