
Décor, Costumes : Philippe Varache
Vidéo : Dominique Aru
Lumières : Charly Thicot
Création sonore : Alvaro Bello
Mais qui était donc Jean ZAY ? De nombreuses écoles aujourd’hui portent son nom. Il a été panthéonisé en 2014 sous le gouvernement de François Hollande. Pourtant, il n’est pas sûr que les jeunes se souviennent de cet homme qui fut une figure phare du Front populaire. Pendant quatre années d’intense activité, en tant que ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts, il engagea de nombreuses réformes révolutionnaires pour l’époque, non sans de terribles luttes, écrira-t -il. Ayant cristallisé la haine de l’extrême droite antisémite laquelle a pu s’exprimer pleinement sous le régime de Vichy, il fut assassiné le 20 juin 1944 par des miliciens à l’aube de la libération de la France.
Son livre Souvenirs et solitude, écrit en prison peut tenir entre toutes les mains. Rédigé avec une grande clarté, dans un réel souci de lisibilité, il constitue un témoignage précieux sur la condition d’un prisonnier ainsi que sur la situation de la France sous la collaboration. Il s’agit d’un livre « compagnon » qui pourrait même être un livre de chevet pour ceux qui doivent s’armer de patience et de courage dès lors que leurs valeurs de liberté, de justice sont menacées ou bafouées.
Il exprime la tentative d’un être de rapprocher sa solitude individuelle « indicible »de l’évènement extérieur et donc du monde extérieur qui l’a provoquée. Jean Zay comprend que ce qu’il endure, d’autres individus le vivent. Cet homme auréolé de son précédent prestige de ministre devient solidaire en quelque sorte de tous les prisonniers qu’ils soient politiques ou de droit commun. Se projetant toujours dans l’avenir, il est résolu à partager son expérience. Ecrasé, il résiste et dès lors sa lecture, son analyse de son propre bouleversement, à travers ses chemins de pensée, il le sait, peuvent former l’appel d’air où s’engouffreront d’autres voix après lui. Une tentative parce qu’on n’est jamais sûr de rien. Jean ZAY se pense parfois rayé du monde des vivants ou à l’antichambre de la mort. Comment dans ces conditions ne pas céder à la dépression, au désespoir ? Dans ces propos, on ne perçoit aucune vanité, juste le sentiment du travail accompli, honnête et généreux. Il ne se prend pas pour un héros. Il sera assassiné alors même qu’il avait atteint une sorte de sérénité, celle d’un homme au moins heureux d’avoir trouvé au fond de lui une capacité de résistance intérieure – sa liberté – à l’ignominie.
Xavier BEJA, l’adapteur pour le théâtre de Souvenirs et solitude est l’interprète de Jean ZAY. En plus d’une similitude physique avec ce dernier, il incarne un homme dans toute la force de l’âge – Jean ZAY n’avait que 35 ans lorsqu’il fut emprisonné – livré à lui-même à cause de sa solitude contrainte mais ses démons – qui n’en a pas- c’est une soif de vivre et de liberté auxquelles il refusera jusqu’au bout de renoncer. D’éprouver cette force de vie chez un homme meurtri ne peut que nous le rendre plus proche, plus sensible, plus attachant.
Xavier BEJA est impressionnant de justesse. Sa voix se frotte au silence, aux murs, à l’obscurité, elle les jugule comme si elle pouvait s’étonner elle-même de retentir dans la pénombre. Et elle retentit, traverse les murs. Toutes ces zones d’ombre, elle les habille, les recouvre de sa présence pour leur faire front. La voix n’est jamais monotone, elle peut être basse, quasi intérieure et parfois haute, cinglante lorsqu’elle exprime l’indignation.
La mise en scène sobre de Michel COCHET est parfaitement dosée. Elle n’enferme par le personnage dans un monologue pesant. Quelques images d’archives et vidéo illustrent le passé de Jean ZAY. Elles sont en étroite relation avec l’ambiance musicale recherchée de Alvaro BELLO. Et puis, il faut entendre Jean ZAY parler du bonheur simple de l‘apparition du soleil et se réciter des vers de Baudelaire : « Si le ciel et la mer sont noirs comme l’encre, Mon cœur, que tu connais, est rempli de rayons ! ».
L’espace clos de la prison devient une forêt de signes. Toutes les perles de sueur d’un homme adossé aux grilles, étincellent pour nous parler humblement mais assurément de sa présence au monde, plus que jamais nécessaire ici et maintenant.
Le 7 Mars 2022 Evelyne Trân
Article initialement publié dans le MONDE LIBERTAIRE en ligne
https://www.monde-libertaire.fr/?article=Ne_Bruscon_pas_le_brigadier_
Tournée 2022 :
– Anis Gras – Le lieu de l’Autre à Arcueil, du 17 au 19 février
– Au Studio Raspail à Paris, le 21 mars
– Le Théâtre des Vents (Festival off d’Avignon), du 7 au 30 juillet à 11h30
– Le Théâtre Le Local à Paris, du 30 septembre au 24 octobre
– Anis Gras – Le lieu de l’Autre à Arcueil, du 24 au 26 novembre, représentation scolaire le 25 novembre à 14h30