Cendres sur les mains de Laurent Gaudé – Mis en scène par Alexandre Tchobanoff au Studio Hébertot 78 bis Boulevard des Batignolles – 75017 Paris – Du 05 septembre au 28 novembre 2021 – Lundi 21 H – Mardi 19 H – Dimanche 17 H.

Avec Arnaud Carbonnier, Olivier Hamel et Prisca Lona
Assistante mise en scène : Prisca Lona

Il est possible de se déplacer de l’univers de Beckett à celui de la tragédie grecque. C’est le tour de force de cette pièce « Les cendres sur les mains » de Laurent GAUDE qui met en scène à la fois des personnages rappelant ceux de la pièce « En attendant Godot » de Beckett et une femme qui cumule la charge dramatique d’une Antigone ou d’une Cassandre pour exprimer l’horreur et l’absurdité de la guerre.

La pièce est bâtie sur deux oppositions de comportements, d’attitudes, de réactions par rapport à la mort et à la guerre.

D’une part une femme (le personnage aurait été inspiré du témoignage d’une réfugiée du Kosovo) à qui il incombe de faire parler la mort et les morts, d’autre part deux fossoyeurs qui n’ont pour d’autre mission que celle de faire disparaitre les cadavres comme les éboueurs enfouissent nos déchets sans états d’âme.

La mort et la guerre ne font qu’une dans l’esprit de la femme – venue de nulle part sinon de la mort, elle faisait partie d’un monceau de cadavres mais elle s’est réveillée comme le phénix renait de ses cendres – qui donne l’impression de s’adresser à une entité obscure qui vient de la plonger dans la désolation. Des réminiscences de tragédies d’Eschyle ou Sophocle nous reviennent en sursaut à travers les incantations, les lamentations de cette femme qui se dresse au milieu des morts.

 Les fossoyeurs quant à eux n’ont également pour champ de vision qu’une hécatombe. Ils sont payés pour déblayer. C’est le salaire de la mort, de la guerre. S’ils font penser aux héros de Beckett, leur Godot n’a rien de spirituel et eux-mêmes sont dépourvus d’imagination, ils ne sont pas des clodos bohèmes juste des employés abêtis par leur travail harassant et mortifère. Leur patron n’a pas de chair, il ne se manifeste que par quelques ordres élémentaires, pragmatiques. Comment auraient-ils le temps de rêver ?

Deux formes de langage s’opposent. Il y a celui familier et pauvre des employés d’une part et de l’autre celui lyrique et poétique de la femme qui telle Antigone n’a de cesse d’honorer les morts en les touchant, en les caressant ou en les embrassant.

L’opposition très marquée entre les fossoyeurs et la femme ennemie s’avère très efficace mais quelque peu manichéenne.

Le spectacle bénéficie d’une excellente distribution. L’interprétation quasi truculente des deux comédiens Arnaud Carbonnier, Olivier Hamel est très attrayante et celle dramatique de Prisca Lona, impressionnante. La mise en scène d’Alexandre Tchobanoff souffle le chaud et le froid avec une belle maitrise.

La pièce constitue une violente charge contre la bêtise humaine incarnée par ces deux fossoyeurs pitoyables et misérables, des morts-vivants qui ne peuvent se dépêtrer de la mort. Alors comment, pourquoi les humains continuent-ils à se tuer les uns les autres au mépris de la vie magicienne ? C’est la question qui nous assaille à l’issue de la représentation comme un poing levé contre la dictature de la guerre.

Eze, le 8 Novembre 2021

Evelyne Trân

N.B : Article publié également sur le Monde Libertaire.net

https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=6073

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