Le journal d’un fou de Gogol au Théâtre de l’ESSAION – 6 rue Pierre au lard 75004 PARIS – Mise en scène Thierry Harcourt – Avec Antony De Azevedo du 30 Août au 9 novembre 2021, les lundis et mardis à 21 H 00.

  • Auteur : Nicolai Gogol, traduit du Russe par Louis Viardot
  • Mise en scène : Thierry Harcourt
  • Avec : Antony De Azevedo

L’inanité du travail de bureau à en croire Dostoïevski, Kafka ou Gogol ne date pas d’hier. Cette inanité peut-elle conduire à la folie ? Gogol avec son énergie de jeune homme, adoubé par Pouchkine, tout engrossé de son expérience de fonctionnaire se projette avec humour et désespoir mêlés dans les méninges d’un conseiller tutélaire pétersbourgeois officiant comme tailleur de plumes dans un ministère.

La nouvelle parue en 1835 (sous le règne de Nicolas 1er, empereur de Russie) a été applaudie comme une satire des mœurs administratives. Mais Gogol va beaucoup plus loin puisqu’il explore un état de confusion mentale propice à des assertions du style « La femme est amoureuse du diable » ou au délire de persécution « Ils ne veulent pas m’écouter. Que leur ai-je fait ? Pourquoi me tourmentent -ils ? » (en parlant de son patron ou de ses collègues). Cet état n’est pas si éloigné de situations cauchemardesques qu’un rêveur rêverait en vain de maitriser.

Nous connaissons tous cette expression « Il ou elle a pété les plombs » mais imaginons-nous la souffrance de celui ou celle victime de ce pétage des plombs ? Cet individu se trouve-t-il propulsé hors de notre planète « raisonnable » et dès lors condamné à tourner en rond prisonnier dans sa pauvre petite cervelle.

Disons-le d’emblée, ce journal d’un fou est difficilement saisissable. S’il a été repéché, couché derrière la niche d’un chien, c’est parce qu’il bénéficie du regard goguenard de Gogol tellement féroce qu’il n’hésite pas à faire parler Medji la rusée petite chienne de la fille du patron dont il est amoureux et Fidèle sa correspondante. Cette extrémité, cette outrance ouvre les vannes du rire. Les censeurs trop rigides ou abrutis n’y auraient-ils vu que du feu ? Certainement Gogol se moque de ses contemporains et les spectateurs, les lecteurs sont priés de rire pour éloigner les censeurs.

Mais en vérité, c’est plutôt de l’empathie que nous éprouvons pour le personnage. Popritchine tacle la folie du monde dans lequel il se trouve englué et il la prend au pied de la lettre. Puisque cette hiérarchie des classes qui domine la société est absurde et l’obsède. « Je voudrais bien savoir d’où viennent toutes ces différences » dit-il, pourquoi serait-il absurde qu’il se désigne lui-même comme le Roi d’Espagne ?  Popritchine dans son délire manifeste la souffrance d’un homme qui « n’existe pas » qui n’a pas sa place dans un monde qui l’ignore totalement. A bout, il appelle sa mère « Verse une larme sur ma tête malade, serre sur ton cœur ton pauvre orphelin blessé ».

Nous saluons l’intensité de l’interprétation du comédien Antony DE AZEVEDO, comme un véritable coup de tête contre les murs, un cri d’alarme qui résonne et qui froisse notre perception « raisonnable ».

Eze le 17 Octobre 2021

Evelyne Trân

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