
En souvenir de Simon EINE qui s’en est allé vers d’autres horizons, je republie l’article que j’avais écrit lors de la parution Des étoiles plein les poches.
J’ai eu la chance de découvrir le théâtre, dans les années soixante dix en assistant à une représentation de « Ruy Blas » mise en scène par Raymond Rouleau à la Comédie Française. J’ai été captivée bien sûr par la pièce et les décors mais ce qui m’a le plus surprise c’est la force des sentiments exprimée par les comédiens.
Il y avait donc un lieu sur terre où l’on pouvait faire parler son cœur bruyamment. A vrai dire, c’est le personnage de Don Salluste joué par Simon EINE qui m’a le plus impressionnée. En dépit de sa méchanceté, je trouvai le personnage humain. Je ne pouvais m’empêcher de penser que le personnage cachait un mystère.
Simon EINE, est donc lié à ma première émotion théâtrale. Je l’ai découvert ensuite interprétant Valère dans l’Avare, dans la mise en scène de l’ile aux esclaves de Marivaux, dans Richard III et j’ai eu aussi le privilège de l’entendre faire résonner la « Légende des siècles » un certain 14 Juillet.
Cela dit, les spectacles que j’ai pu voir ne représentent qu’une goutte d’eau parmi la centaine des pièces qu’il a jouées et la dizaine de mises en scènes qu’il a réalisées.
Personnellement, je pense qu’être comédien ce n’est pas tout à fait un travail comme les autres. C’est un sacerdoce.
Comment les spectateurs pourraient-ils se rendre compte de la masse de travail, que représente le montage d’une pièce. Ils consomment ou ils apprécient globalement un spectacle, mais ont-ils conscience de tout le chemin parcouru par les artisans du spectacle pour leur communiquer le sentiment d’avoir assisté à quelque chose de magique, une rencontre avec des personnages, un drame, une comédie, sur l’instant. Car la représentation à laquelle ils assistent, elle est unique, elle est datée, et elle dépend aussi des états d’âme du public…
Le livre de Simon EINE, a l’aspect d’une grande table d’orientation offerte aux visiteurs venus contempler un superbe panorama.
A l’intérieur de cet immense paquebot que représente la Comédie Française, Simon EINE a tenu un livre de bord durant 44 ans. Toutes ses notes et impressions de comédien et metteur en scène donnent de précieuses indications aux comédiens qu’ils soient confirmés ou novices.
Un capitaine même aguerri doit toujours avoir à l’esprit qu’il traverse une mer toujours pleine d’inconnus. La mer peut être calme mais elle peut être aussi mouvementée, et l’on entend sourdre ses vagues contre les flancs du navire.
Très scrupuleuse, la plume de Simon EINE, ménage les pleins et les déliés de son voyage dans le temps où plusieurs voix se mêlent, celle de l’enfant, de l’adolescent, de l’homme adulte, mais un même esprit les anime qui permet au lecteur, hôte privilégié, de se laisser submerger par l’émotion mais aussi pénétrer par de profondes réflexions.
Sans nul doute Simon EINE est un homme pudique. Ce qui le pousse à sortir de sa réserve, c’est quelque chose qui va plus loin que lui-même, c’est le sentiment de reconnaissance à l’égard de ses parents juifs polonais émigrés, son père, tailleur, qu’il sait si bien décrire, et sa mère partie trop tôt, tuée dans le camp d’Auschwitz.
C’est pourquoi aussi Simon EINE est resté insensible aux sirènes de la vanité. Il lui convient amplement de rester du côté des humbles artisans, de partager toujours et encore, leur pain quotidien.
Mais son livre s’adresse aussi à tous ceux qui envisageraient d’écrire leur autobiographie. Je crois bien que l’autobiographie est un genre littéraire très difficile. Il faut être écrivain pour s’embarquer dans une telle entreprise. Qu’est-ce qu’un écrivain, c’est quelqu’un qui respire avec les mots, sans d’autre artifice que cette respiration même qui demande du travail. Et c’est là aussi où l’acteur rejoint l’auteur, grâce à cet art suprême qui consiste à placer sa voix.
De très belles pages, dignes des grands poètes qu’a côtoyés Simon Eine, traversent ce livre.
Vais-je en dire davantage sachant que Simon Eine n’aime pas les louanges.
Oui tout de même, en tant spectatrice et lectrice, je persisterai à dire que le livre de Simon EINE a réveillé chez moi la même émotion que j’ai eue jadis, il y a quarante ans au théâtre en le découvrant en Don Salluste et aussi en Valère, amoureux transi d’Elise, puisque c’est avec les mêmes accents passionnés qu’il peut écrire à propos d’une scène d’amour avec Micheline BOUDET dans les « Fausses Confidences » de Marivaux :
« C’est un moment magnifique à jouer. Un de ces moments que seul le théâtre procure, moments magiques d’abandon, d’ivresse de pur délire, où l’on cesse d’être seulement soi-même ».
Paris, le 25 Décembre 2012
Mis à jour le 1er Octobre 2020
Evelyne Trân