CRÉATION LUMIÈRES : YDIR ACEF
MUSIQUE : CÉSAR FRANCK
PRODUCTION : COMPAGNIE CARPE DIEM ARG
La nouvelle de Maupassant Boule de suif, c’est tout d’abord un objet de la littérature dite classique. Maupassant y règle les phrases comme un photographe ajuste le plus précautionneusement possible son objectif. Les tremblements de la main ne sont pas permis. Il faut saisir pourtant les impressions qui se chevauchent suivant que l’on s’éloigne ou se rapproche un tant soit peu de la vision que l’on souhaite figer à jamais sur une photographie. En vérité, la photographie ne correspond jamais à l’impression qui a motivé le désir de la fixer.
Pour l’écrivain Maupassant, disciple de Flaubert, un mot, une phrase peuvent déclencher des émotions chez le lecteur. Il faut pourtant les brider ces émotions. Faute de quoi la route celle de l’écriture serait réputée difficile, vaseuse ou encore vertigineuse.
Mais comment donc faire entrer dans le cadre d’un récit, ce qu’il est convenu de nommer la nature humaine sans avoir auparavant développé sa propre vision critique.
Maupassant observe de loin et de près des comportements de personnages que n’importe quel individu peut se targuer de reconnaitre. Il joue le rôle d’un miroir ni grossissant ni déformant mais suffisamment banal pour faire crépiter tous ces détails susceptibles d’entrer dans la description d’un individu, celui qu’on entrevoit dans la foule, celui dont on s’écarte vivement parce qu’il froisse notre épiderme ou nous rappelle de mauvais souvenirs, celui ou celle dont l’apparence nous choque, celui ou celle qui nous étonne ou nous fait rêver.
Dans la nouvelle Boule de suif, Maupassant se révèle particulièrement impitoyable dans le portrait qu’il fait d’une société bourgeoise dont il révèle les pensées et les gestes d’autant plus « assassins » qu’ils sont banals et qu’ils répondent à des réflexes devenus conventions immuables.
L’intrigue du récit en soi est mince. Il s’agit juste d’un fait divers, un de ces faits divers qui passent à la trappe parce qu’ils ne changeront pas la face du monde et qu’ils n’intéresseraient personne si l’écrivain n’avait pas réussi à force d’arguments descriptifs à en extirper le venin qui en découle.
Donc, Maupassant raconte comment au mépris de la personne humaine, des bourgeois vont livrer une prostituée dénommée Boule de suif à l’ennemi Prussien afin de recouvrir leur liberté.
André SALZET est un paisible narrateur qui se soucie du bruissement de la langue. C’est une question de respiration aussi bien pour le comédien que pour l’auditeur. Le charme de la voix agit, surprend même. Il est donc possible d’énoncer de façon agréable un fait divers révoltant. Le récit s’est déroulé comme « sous le Pont Mirabeau coule la Seine … les jours s’en vont, je demeure ».
C’est sans doute une part de la mélancolie et de l’état d’esprit de Maupassant que met en valeur la mise en scène sobre et efficace de Sylvie BLOTNIKAS, en y imprimant aussi ce rayonnement d’ironie en taille-douce irrévocable.
Paris, le 15 Septembre 2020
Evelyne Trân