Mise en scène : Manuel OLINGER
Adaptation : Pierre LAVILLE
Lumière : Théo Guirmand
Avec : Julie DELAURENTI, Manuel OLINGER, Tiffany HOFSTETTER ou Murielle HUET DES AUNAY, Philipp WEISSERT ou Gilles Vincent KAPPS, Jean-Pierre OLINGER
Nous aurions tendance à oublier qu’un Tramway nommé désir est avant tout une pièce de théâtre créée en 1947 dans un théâtre de Broadway tant son adaptation au cinéma en 1951 par Elia Kazan est restée dans les mémoires.
C’est sous une lumière crue que s’exposent les protagonistes de la pièce. Cette lumière accuse la promiscuité inconfortable que subissent les personnages.
Curieux lieu de vie que cet appartement « minable » de 2 pièces à la Nouvelle Orléans. Avec le recul, son décor devient exotique avec le rappel d’éléments représentatifs : balcon en fer forgé, murs en lames de bois, ventilateur au plafond, réverbères.
La frugalité du mobilier qui se limite à une table et des chaises et surtout le grand lit du couple qui envahit la pièce de vie tandis que la 2ème pièce est juste bornée par un paravent, en dit long sur la précarité sociale des occupants.
En résumé, il s’agit d’un drame social et intime de facture réaliste qui explore le mal être existentiel inhérent aux contraintes qu’impose la cohabitation.
En dépit de leur misère, Stanley un jeune ouvrier d’origine polonaise et sa femme Stella paraissent vivre le parfait amour. L’irruption dans leur appartement de la sœur de Stella, Blanche va déranger profondément Stanley qui manifestera violemment son hostilité à l’encontre de sa belle-sœur. Il profitera de sa faiblesse pour l’expulser de chez lui en lui assénant le coup de grâce, l’enfermement dans un asile d’aliénés malgré le désaveu de Stella.
Blanche est un personnage complexe plus au moins mythomane, une femme-enfant qui n’assume pas le décalage entre ses rêves auxquels elle continue à s’accrocher et la brutalité de la réalité que représente le viril Stanley qui méprise ostensiblement les minauderies de Blanche et ses postures de femme fatale.
La démonstration est évidente. Les forts écraseront toujours les faibles par égoïsme assumé pour garantir leur territoire. Stanley n’a pas d’état d’âme – ou du moins s’il en a c’est uniquement vis-à-vis à de lui-même – contrairement aux autres protagonistes, Stella qui aime sincèrement sa sœur et le prétendant de Blanche qui aurait souhaité la présenter à sa mère mourante avant de se dédire après avoir découvert le passé sulfureux de Blanche.
Evidemment, il s’agit d’un point de vue extérieur, à l’état brut. Il appartient aux comédiens de suggérer l’ambivalence de chacun des personnages au-delà de leurs apparences.
La violence de Stanley, alcoolique, qui en vient à donner des coups à sa femme bien aimée, est un signal de faiblesse, de désarroi, ce même désarroi qu’il devine chez Blanche. Mais il ne veut surtout pas perdre la face vis-à-vis de Stella qui l’adule. Ce qui réagit en lui, c’est « le sauve qui peut » et tant pis pour Blanche.
Une telle pièce est criante d’actualité sur la condition des femmes, les ravages de l’alcool, les femmes battues, la folie, la dépression…
Mais au-delà de l’évidence qui étiquette chaque personnage, il y a cette angoisse, sortilège de l’inquiétude qui embarrasse le quotidien des protagonistes, leurs non-dits. Difficile de saisir le mal qui les ronge puisqu’il est impératif de faire bonne figure, de tenir bon, de se cramponner à l’essentiel en passant sous silence ses états d’âme.
Le comportement des personnages – il n’est pas difficile de cerner chez eux ce qui les mobilise, l’attente d’un enfant pour Stella, le désir d’évolution sociale pour Stanley, l’émigré, la quête éperdue d’amour pour Blanche – ne cesse d’abuser le spectateur.
Une menace gronde que personne ne voit venir, une sorte d’incendie qui provoquera l’effondrement de Blanche. Qui a allumé la mèche ? Était-ce inévitable ?
Nous comprendrons peut-être que Stanley se fout du sort réservé à sa belle-sœur et que sa vie avec Stella va reprendre son cours comme si de rien n’était, rien n’avait eu lieu. Exit Blanche, n’en parlons plus.
D’un point de vue réaliste, la mise en scène de Manuel OLINGER se révèle très efficace. La tension est perceptible tout au long de la pièce mais le mal qui rôde, qui chaloupe tous les agissements des personnages reste extérieur.
Cela dit, l’ambiance « moite et chaude » de la Nouvelle-Orléans est fort bien restituée, la scénographie épatante, l’interprétation des comédiens très juste et les interventions des musiciens de jazz tout à fait bienvenues.
C’est à notre sens le charme de cette représentation d’un Tramway nommé désir, de nous replonger dans l’atmosphère fébrile de la Nouvelle-Orléans, celle qu’a connue Tennessee Williams, qui dans cette pièce, remue les cendres de sa propre tragédie familiale, notamment, la lobotomie de sa sœur internée dans un asile.
Paris, le 22 Février 2020
Evelyne Trân