
photo Guillaume Herbaut
La Russie, un peuple comme un grand corps, ses muscles, ses artères, ses poumons, ses racines, son cœur. Cette réalité si complexe, Svetlana ALEXIEVITCH, journaliste de formation, tente de l’éprouver à la façon d’une acupunctrice dont les aiguilles se plantent sur les points les plus sensibles de la peau afin d’évacuer les douleurs.
Dix histoires au milieu de nulle part brassent les témoignages de femmes et d’hommes de la Russie et la Biélorussie d’aujourd’hui sous l’ère de Vladimir POUTINE et d’Alexandre KOULENCHENKO.
Comment respirent-ils ces hommes et ces femmes qui ont eu à subir les attentats terroristes de Moscou, la guerre de Tchétchénie, le pogrom contre les Arméniens ?
Il est évident qu’on ne les entend pas dans les médias, ces travailleurs tadjiks qui viennent du Caucase à MOSCOU victimes de la répression, traités de « culs noirs » er de métèques ».
Il ne s’agit pas pour Svetlana ALEXIEVITCH de faire du reportage « doloriste » pour le plaisir de susciter la compassion. La vérité c’est que tous ces gens au-devant desquels elle se tourne n’ont jamais la parole dans leur propre pays, ils sont invisibles.
Délicate est donc sa mission politique de leur offrir une visibilité, une écoute que la plupart n’imagine pas possible.
Ce sentiment est profondément partagé par la metteure en scène et adaptatrice Stéphanie LOIK.
Six comédiens, trois femmes et trois hommes, également chanteurs, circassiens et danseurs, jouent le rôle de passeurs de leurs histoires. Ils forment un chœur dans l’obscurité, la plus à même de représenter leur espace souterrain.
Langage du corps ! C’est ce langage qu’explore de façon tangible la metteure en scène, pour mettre en valeur toutes ces correspondances entre les expressions des visages, des mains, des dos, des silhouettes de chair en somme, porteuses des paroles des invisibles.
Chorégraphie au ras des émotions, à fleur de peau, de silences aussi, juste pour écouter, comprendre aussi que l’histoire des humains transite nécessairement par le corps et donc notre mémoire, cruciale.
Lors d’un récit particulièrement tragique, le chœur crie « Tais toi ! » Et nous-mêmes, spectateurs, pourrions-nous demander pourquoi répandre le bruit de toute cette douleur insupportable.
Parce que tous ces crimes rapportés questionnent l’humain et qu’hélas nous n’en n’avons pas fini de lutter.
Le chœur chorégraphié par Stéphanie LOIK a la beauté d’une colombe qui étend ses ailes, qui porte juste dans son bec un message, un rêve de paix.
Paris, le 11 Décembre 2017
Mis à jour le 5 Janvier 2019
Evelyne Trân
Avec : Vladimir Barbera, Denis Boyer, Véra Ermakova, Aurore James, Guillaume Laloux, Elsa Ritter
Auteur Svetlana Alexievitch (Prix Nobel de littérature 2015)
Publié aux éditions Actes Sud / Traduction de Sophie Benech
Adaptation et mise en scène Stéphanie Loïk
Création lumière Gérard Gillot
Création musicale, chef de chœur Jacques Labarrière
Chants russes Véra Ermakova
Assistante à la mise en scène et régie son Ariane Blaise
Assistant Compagnie Igor Oberg
Film Jean-Christophe Leforestier
Photos ©Michael Bunel