de Hugues Leforestier,
mis en scène par Anne Bourgeois,
avec Nathalie Mann et Hugues Leforestier
Si vous souhaitez éclairer votre lanterne concernant les scandales financiers et politiques qui alimentent l’actualité, et que vous auriez aimé être cette souris qui assiste à un interrogatoire d’un grand patron dans les locaux d’une brigade financière, cette pièce éponyme de Hugues LE FORESTIER pourrait vous interpeller.
Face à face deux figures, celle de la commissaire élégante, distinguée, d’une politesse ironique agaçante jouée par Nathalie MANN et celle du grand patron également élégant, sans ventre bedonnant, plutôt grand bourgeois, interprété par l’auteur lui-même, Hugues LEFORESTIER.
Le but de la commissaire est de faire craquer ce grand patron. Au fil de l’interrogatoire si nous comprenons que les preuves d’abus sociaux sont accablantes, nous voyons bien que cela ne suffit pas et qu’il faut comme pour un crime de sang, obtenir les aveux de la personne incriminée.
Dans cette partie de jeu d’échecs entre la commissaire et le grand patron, la commissaire semble prendre plaisir à chercher la faille psychologique chez ce grand bourgeois très conscient d’être tourné en bourrique par la belle dame qui sait le torturer avec finesse, en faisant alterner les piques et les grands sourires.
Curieux terrain de jeu psychologique où le bourreau et la victime finissent par se rapprocher là où le bât blesse, une sorte de moi joule surdimensionné qui permettrait de confondre alors les pouvoirs de la justice et de la finance qu’ils sont censés représenter.
Aux spectateurs de déterminer la part d’humanité de cette commissaire traitée de fonctionnaire qui utilise la garde à vue crasse et moyenâgeuse pour affaiblir son suspect et celle de ce grand patron humilié.
Leurs discours nous éclairent sur leurs visions du monde respectives. Elles n’échappent pas aux poncifs mais ceux-ci ont l’avantage d’être très réalistes. C’est un peu comme si chacun était perché sur son monticule de sable qui s’affaisse au fur et à mesure pour rejoindre la ligne plate si plate qu’elle en devient aveuglante.
Comment faire comprendre à un grand patron qu’il est un voyou de la pire espèce s’il va planquer son argent en Suisse ? Le bonhomme n’a d’autre stratégie que de nier. Le déni fonctionne permet de gagner du temps et le temps c’est de l’argent !
Décidément, la couleur riche et la couleur pauvre ne peuvent se mélanger. il faudrait un talent prodigieux de la part de la commissaire pour démonter son prévenu, une sorte de rage interne. Or cette commissaire n’est-elle pas aussi une privilégiée ? N’a-t-elle pas le sentiment de sa supériorité ? Qu’a-t-elle à perdre dans ce combat idéologique, sinon son poste ? La commissaire a beau se retrancher derrière sa conscience professionnelle, l’on devine bien que sa rigueur, son honnêteté ne peuvent faire le poids face à l’hypocrisie du prévenu qui ne faiblit que pour rebondir.
Vraiment, les juges chargés d’instruire de telles affaires doivent s’arracher les cheveux ! Ils doivent non seulement être particulièrement documentés mais être aussi fouilleurs de « merde » et dotés d’un flair psychologique aussi éprouvé que celui d’un chien renifleur de drogue, donc composer avec de multiples talents aussi hors de commun que ceux dont disposent ces grands patrons accusés d’abus sociaux.
Deux et deux ne font pas quatre dans ce monde. Les tenants du pouvoir, notamment financier, savent brouiller les pistes. C’est un art, un jeu qui se déroule dans des sphères si éloignées des préoccupations quotidiennes du bas peuple !!!
La pièce soulève bien des questions sur les pouvoirs de la justice et de la finance et met en scène un duel assez piquant entre cette commissaire et ce patron.
Hugues LEFORESTIER ne dresse pas des portraits manichéens de ces deux personnages qui parlent intelligemment, sont bien élevés somme toute.
Lui-même interprète de façon émouvante ce patron en le dotant d’une fragilité presque séduisante. Face à lui Nathalie MANN campe une commissaire assez mystérieuse qui barricade derrière sa fonction, toutes ses émotions.
Il y a du plaisir à assister à ce duel instructif humainement, efficacement mis en scène par Anne BOURGEOIS . Suivant les spectateurs, l’intérêt psychologique pourrait primer sur la teneur scientifique de la pièce. La vérité nous dit un de ses protagonistes, c’est que l’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. C’est la recette de Hugues LE FORESTIER. Au lieu de parler d’amour comme chez Marivaux, les héros se bousculent sur le terrain hostile de l’argent. Mais le marivaudage de la justice et de la finance vaut bien celui de l’amour !
Paris, le 28 Février 2015
Mis à jour le 30 Juin 2018
Evelyne Trân