Dans sa préface de 1832, Victor Hugo rappelle que le dernier jour d’un condamné a été publié trois ans plus tôt sans nom d’auteur. Cela tombe sous le sens lorsqu’on sait qu’à l’époque Victor Hugo était déjà célèbre. Il a préféré attacher à cette publication la figure d’un auteur anonyme, un condamné qui aurait écrit lui-même son journal qu’un poète aurait recueilli.
La vérité c’est que Victor Hugo s’est projeté complètement dans le destin de ce condamné de la même façon qu’un acteur incarne un personnage. A l’instar de Flaubert qui dit » Madame BOVARY, c’est moi », il s’identifie à ce condamné. L’on peut d’ailleurs retrouver dans la description du personnage, des éléments constitutifs de l’auteur, sa jeunesse (Victor Hugo était âgé de 27 ans) et sa robustesse physique « Je suis jeune, sain et fort … et cependant j’ai une maladie, une maladie mortelle faite de la main des hommes. »
L’œuvre porte la trace de cette juvénilité tempétueuse, de cette énergie vitale soudain dévastée par le sentiment qu’elle va être déconnectée du monde vivant par la seule volonté de juges.«Ce livre s’adresse à quiconque juge…Heureux si à force de creuser dans le juge, il a réussi à y retrouver un homme !»
Et le condamné en question est un homme, il pourrait s’appeler Paul, Pierre ou Jacques. Mais il n’a pas besoin de nom, il n’a pas de nom puisqu’il va être basculé dans la mort, le néant. Etonnamment dans ce journal, le condamné ne cherche guère de secours à travers la religion. L’universalité de son émotion tient au fait que Victor Hugo a véritablement voulu représenter un homme quel qu’il soit sujet d’une condamnation à mort par la société.
Le condamné exprime des sentiments communs à tous les mortels, l’amour paternel, le bonheur de voir le soleil etc. Des réalités banales qui prennent une toute autre dimension dès lors qu’on imagine en être privé. Qui sait mieux parler de la vie dans son essence la plus simple que ce condamné !
Est-ce le corps ou l’âme qui réagit à l’annonce d’une mort imminente? Les deux sont intimement liés mais nous n’avons jamais entendu parler d’une condamnation à mort d’une âme. Ce qui signifie que la société condamne ce qu’il y a de plus vulnérable, de plus innocent, la chair de l’homme.
C’est une peur naturelle qui saisit le condamné et provoque ses crises d’angoisse. L’émotion est d’autant plus indescriptible qu’elle se prolonge, le condamné a le temps de penser, d’imaginer, et pris dans le flux ininterrompu du monologue du condamné, son ultime course de vie, le lecteur ou le spectateur éprouve alors l’odiosité de cette mise à mort.
William MESGUICH exprime avec tout son corps, sa voix, ses membres, le désarroi de ce condamné, un condamné qui se parle à lui-même. L’écho est d’autant plus retentissant, plus juste qu’il se déploie dans la solitude d’une geôle à l’image de sa pauvre cervelle. Par contraste, les bruits sonores, grincements de chaines, de portes invisibles et la musique créent une ambiance fantasmagorique.
L’interprétation bouleversante, sans emphase, très nuancée du comédien constitue à elle seule un plaidoyer contre la peine de mort.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’un spectacle souriant mais le génie de Victor Hugo – jamais sa langue ne nous a paru aussi vivante et actuelle – servi par un grand interprète, suffit à rendre très attractive cette adaptation de l’œuvre par David LESNE mise en scène avec dynamisme par François BOURCIER.
« Ceci est mon sang » semble dire Victor Hugo à propos du condamné,cela devient le nôtre. C’est au théâtre et notamment dans ce spectacle engagé que les questions de vie et de mort prennent toute leur ampleur !
Paris, le 3 Septembre 2017
Evelyne Trân