Crédit photo – répétitions du spectacle – Pierre Grosbois
Avec Yann Burlot, Nicolas Chupin, Rébecca Finet, Sonia Floire, Camille Garcia, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Catherine Vinatier.
Dramaturgie : Benoîte Bureau – Composition musicale et sonore : Vincent Hulot – Scénographie : Emmanuelle Roy – Costumes et accessoires : Alice Touvet – Perruques : Catherine Saint Sever – Lumières : Bruno Brinas – Vidéos et images : Gaëtan Besnard – Collaboration artistique : Cécile Zanibelli – Régie Générale : Thomas Coux – Régie Vidéo : Christophe Touche – Régie Plateau : Guillem Picq – Développement et diffusion : Olivia Peressetchensky – Administration : Christelle Krief – Presse : Isabelle Muraour.
Ces vies qui nous appartiennent, noyées dans la masse, silencieuses, ignorantes du fait que bien ou malgré elles, elles alimentent la grande roue économique de la société, qu’elles la font tourner comme la terre tourne sur elle même, n’ont guère l’occasion de faire entendre leurs voix anonymes.
Le scandale du médiator ce médicament proposé aux femmes en tant que coupe-faim pendant des décennies, avant d’être retiré de la circulation, est révélateur de l’immense fossé creusé entre les gens de pouvoir et ceux qui leur font confiance.
Ceux qui font partie des gens installés dans la vallée et qui utilisent la manne venue d’en haut, celle par exemple d’une industrie pharmaceutique qui leur promet des miracles, n’ont aucune chance d’être entendus lorsque la manne se révèle être un poison pernicieux. Que peuvent les ténors politiques et même l’élite intellectuelle contre de tels scandales ?
Quel grand gourou médecin aurait l’idée de descendre jusqu’au cœur de la vallée pour l’écouter ? C’est au propre et au figuré que ce cœur résonne dans le spectacle de Pauline BUREAU et sa compagnie. Il s’agit d’un travail collectif d’archéologues du temps présent qui se sont attachés à remuer notre bonne vieille terre inculte, empêtrée dans le silence, l’ignorance, la résignation. Toutes les paroles ne partent pas en fumée quand justement elles partent du cœur, le héros de ce spectacle.
Vous ne l’entendrez pas pleurer, récriminer ou jacasser. Parce qu’il faut parler aussi du silence entre chacun de ses battements, du temps qui s’écoule, du long parcours de combattant du médecin pneumologue, Irène FRACHON et des victimes du médiator à travers l’histoire d’une femme ordinaire appelée Claire TABARD – incarnée à brûle–pourpoint par Marie NICOLLE – qui contient un peu de chacune des femmes rencontrées »
Du jour au lendemain, cette femme a dû se faire opérer à cœur ouvert pour remplacer ses valves détruites par des valves mécaniques. Handicapée à vie, elle a découvert la cause de son empoisonnement presque par hasard lorsque sa sœur a entendu parler du médiator à la radio. Aidée par Irène FRACHON et un jeune avocat, elle réussira à faire entendre sa voix passant de la position de victime à celle de combattante citoyenne.
La réalité est impitoyable, elle dépasse la fiction nous dit Pauline BUREAU. Si nous avons des haut-le-cœur en assistant au face à face entre la victime et la commission des experts qui l’examinent froidement, se permettent des réflexions déplacées sur sa vie privée, tandis qu’elle doit afficher aux yeux de tous, son horrible cicatrice, c’est qu’hélas, ce genre de situations nous interpelle, que nous savons que dès lors que nous osons prendre la parole ne serait-ce que pour se défendre, nous courons le risque d’être exposés au mépris, aux sarcasmes, à l’incompréhension. Pour tenir le choc, il faut une résistance morale, celle du cœur certainement.
C’est un combat de longue haleine pour Irène FRACHON, très justement interprétée par la comédienne Catherine VINATIER. Pour une victime indemnisée après de longues années de procès, combien d’autres attendent ?
La mise en scène n’a pas recours à une théâtralité tapageuse, elle déroule simplement les volets de l’existence ordinaire d’une femme qui a basculé dans le tragique. La scénographie remarquable permet de suivre en parallèle, grâce à deux plateaux, les différents champs des protagonistes avec leurs va-et-vient d’ombres tournantes, et leurs paroles résonnent parfois comme des crescendos, crachats de souvenirs tels qu’ils se présentent à la conscience qui rejoue l’instant passé pour l’instant présent.
Ce sentiment d’instance est à l’œuvre dans ce spectacle saisissant qui défend la cause d’Irène FRACHON et la nôtre du même coup avec vigueur et pudeur.
C’est toute une conscience théâtrale qui s’ouvre sur une parole à visage humain, tangible, celle qui rythme notre quotidien et délivre son souffle, à portée de notre cœur battant !
Paris, le 4 Mars 2017 Évelyne Trân