comédie philosophie et burlesque de Hristo Boytchev
traduit du bulgare par Iana-Marie Dontcheva (Editions l’Espace d’un instant)
mise en scène Philippe Lanton / Cie Le Cartel
scénographie et lumière Yves Collet,
collaboration lumière Christelle Toussine, construction du décor Franck Lagaroje
assistante mise en scène Emilie Prévosteau, son Thomas Carpentier, costumes Raffaëlle Bloch, conseiller illusion Nicolas Hédouin
avec Bernard Bloch, Olivier Cruveiller, Philippe Dormoy, Christian Pageault, Evelyne Pelletier
Les voilà au banc de la société, quatre paumés, nous dit-on, garés dans une gare désaffectée, qui n’ont pour seule distraction que les passages d’un train qui ne s’arrête jamais. La pause pourrait paraître insignifiante, après tout les arbres aussi regardent les trains qui passent mais il s’agit d’humains tout de même, d’êtres toujours allumés d’espoir, de désirs, de rêves… Cette énergie-là qui la leur enlèverait ? Quoi, vous nous n’auriez plus le droit de dire que vous existez parce que vous ne faites plus partie de la société, que vous avez largué les amarres ou que vous avez été éjectés ?
La considération est douloureuse pour l’auteur Bulgare d’Orchestre Titanic, H. BOYTCHEV, qui sonde le phénomène du flux migratoire, à travers l’histoire de quatre individus, dans la misère, assaillis par la grande illusion celle d’un autre monde plus bienveillant qui s’appellerait l’Europe.
Il s’agit d’une réponse métaphorique, philosophique à une angoisse existentielle tétanisante, celle de s’éprouver de l’autre côté du mur, celui des réprouvés, des bannis, des pauvres, des abandonnés.
L’impression est désastreuse, c’est une claque ! Imaginez-vous dans la peau de ces quatre auto-stoppeurs avec leurs valises sur le bord de l’autoroute, dans le froid, qui attendent en vain qu’un automobiliste s’arrête ! Combien de temps devront-ils attendre ? Et vous qui êtes passé devant eux sans vous arrêter et repassez sur le chemin, pourrez-vous constater avec soulagement qu’ils ont disparu ?
Magique le temps ! Tout passe même une vision terrifiante. Les quatre énergumènes qui plongent dans la grande illusion, ont tout de même un avantage sur ceux qui se plaignent de ne jamais s’arrêter, celle de faire la pause, d’ouvrir un autre clignotant temporel, celui du rêve.
Les quatre zigotos, un ancien cheminot, un chef sans orchestre, sa copine, et un ex-montreur d’ours, n’ont pas d’autre choix que d’imaginer que le train va stationner, parce qu’il ne cesse de donner des signes de vie en déversant des déchets, des bouteilles vides. Un jour, c’est un homme qui passe par la fenêtre du train. Il est inconnu et focalise bien des fantasmes, tel un être imaginaire, un magicien, une sorte de gourou fantasque qui va distraire les quatre personnages en devenant le support de leurs rêves.
La vie serait-elle une illusion ? Nombre de philosophes se sont penchés sur la question. Illusion fatale, nous dit l’auteur. Mais le chant du cygne de Doko, le montreur d’ours, qui se retrouve tout seul, est empreint d’une telle humanité qu’il est possible de croire qu’il n’a pas rêvé, qu’il était bien là avec les autres, que leur rêve était collectif.
La mise en scène dépouillée de Philippe LANTON laisse libre cours à l’imagination du public, c’est aux personnages d’instruire l’illusion puisque chacun porte déjà son histoire sur le visage. Le corps est mis en avant, sa chair, vulnérable, comique, ubuesque. Ce ne sont pas que des quilles ou que des bouteilles vides mais des gens qui ont vécu, qui ont aimé, joui, souffert et qui résistent malgré tout.
Les interprètes ont vraiment l’étoffe de leurs personnages, et l’illusion théâtrale fonctionne tendrement, sûrement, elle nous émeut parce qu’elle nous gratifie aussi d’un sentiment d’enfance, de merveilleux ; comme dans la petite marchande d’allumettes d’Andersen, elle nous fait craquer.
Paris, le 8 Janvier 2017 Évelyne Trân