Adaptation :
Comédien(s) :
Texte : Guillaume Apollinaire Madeleine Pages
Madeleine, l’heureuse destinataire des lettres du soldat Apollinaire, étoile filante d’un amour « impossible » aussi impossible que le sentiment de mort qui régnait dans les tranchées, était elle même toujours transie intimement, lorsque surmontant sa pudeur, elle consentit à leur publication.
Madeleine était une toute jeune femme de 22ans, professeur de lettres lorsqu’elle rencontra Apollinaire le 1er Janvier 1915 dans le train qui la ramenait de Nice à Marseille. Apollinaire venait de faire ses adieux à Lou. C’est en entendant le soldat parler des « Fleurs du mal » penché à la portière du train, qu’elle décida de rester en sa compagnie dans le même compartiment. C’était son choix, un choix qui présida, raconte-t-elle, dans sa préface à la première tempête qui bouleversa sa vie.
Le contexte de cette correspondance qui se poursuit de Janvier 1915 jusqu’en septembre 1916 est particulièrement terrible. Comment imaginer le soldat Apollinaire, confronté à l’horreur de la guerre, coincé dans un trou, scruter à la bougie désespérément, les lettres que lui envoie Madeleine.
Ceux qui ont reproché à Apollinaire d’avoir écrit « Dieu que la guerre est jolie ! » n’ont certainement pas eu connaissance du contenu de ces lettres.
« Songe à quel point dans la vie des tranchées, on est privé de tout ce qui nous retient à l’univers, on n’est qu’une poitrine qui s’offre à l’ennemi. Comme un rempart de chair vivante. .. Je sens vivement maintenant toute l’horreur de cette guerre secrète sans stratégie mais dont les stratagèmes sont épouvantables et atroces ». Et il termine sa lettre par « Mon amour, je pense à ton corps exquis, divinement foisonné, et je reprends mille fois ta bouche et ta langue »(2 Décembre 1915) .
L’amour contre la mort. Apollinaire rêve de posséder Madeleine aussi bien spirituellement que charnellement. Ses fantasmes vis à vis de Madeleine forment le déni de sa réelle condition, de son désespoir, de son impuissance. Et il est vrai que la bougie Madeleine s’éteindra comme si elle n’avait plus lieu d’être lorsque Apollinaire blessé à la tempe par un éclat d’obus, en Mars 1915, n’aura plus la force de l’alimenter.
Le souvenir de Madeleine restant lié à cette expérience de guerre, il est compréhensible qu’Apollinaire traumatisé, ait voulu l’oublier, l’effacer pour s’abandonner à un autre fantasme, celui de la jolie rousse vierge, exempt de cette tragique mémoire.
La lecture de ces lettres est passionnante, vertigineuse. Les interprêtes Pierre JACQUEMONT et Alexandrine SERRE sont visiblement émus. Sur le fil, ils laissent crépiter les vagues; la voix chantante et fraîche d’Alexandrine SERRE détend l’atmosphère plus ombragée, plus sourde et angoissante qui passe par la voix de Pierre JACQUEMONT.
Toute en émotion retenue, quasi intérieure pour Pierre JACQUEMONT, la lecture des lettres d’Apollinaire, si violentes parfois, requiert une infinie douceur et une grande écoute de la part de sa destinataire, Madeleine.
Le public est convié à se convertir d’une certaine façon en Madeleine, et vis à vis de ce poète soldat, croiser les doigts en souriant à cet appel d’Apollinaire :
« Madeleine, tout ce qui n’est pas à l’amour est autant de perdu ».
Paris, le 11 Juin 2016
Mise à jour le 2 Janvier 2017 Évelyne Trân